Que reste-t-il de cette usine colossale imaginée par le maitre du béton ?

Architecte de talent, spécialiste du béton armé, Auguste Perret a construit plusieurs bâtiments dans l’Hexagone, dont une usine monumentale à Issoire (Puy-de-Dôme), utilisée désormais par Constellium.

Petit saut de 80 ans en arrière. Nous sommes en 1939. Avec l’entrée en guerre, la France détermine Issoire comme lieu privilégié pour accueillir une usine de laminage destinée à produire des tôles pour l’aviation militaire.

Un projet confié au maître du béton armé : Auguste Perret. "Le ministre de l’Armement, Raoul Dautry, le désigne pour dessiner les plans d’une usine destinée à produire des éléments d’alliage léger en aluminium pour la construction d’avions de guerre principalement", recentre Christophe Laurent, historien du patrimoine à Clermont-Ferrand, et spécialiste d’Auguste Perret. Une usine, baptisée la Scal (société centrale des alliages légers), en béton armé, pouvant ainsi résister aux bombardements ennemis.

Un ensemble très homogène

Au total, huit bâtiments sont prévus sur le site issoirien, et deux sont issus des plans de Perret : l’atelier de laminage des tôles et le décuvage. L’historien complète :

Les autres s’inspireront de Perret. C’était une volonté des commanditaires qui souhaitaient avoir une belle usine. Ce qui a créé un ensemble très homogène

Une usine aux dimensions colossales : "C’est de la très très grande industrie", commente Christophe Laurent. Comme le lieu recevant l’activité de tôlerie, aux dimensions uniques : quatre halls monumentaux juxtaposés dont les centraux atteignent 300 mètres de longueur, libérant notamment un maximum d’espace au sol pour les besoins de la production.

Qualité architecturale unique

Depuis toujours, l’usine a aussi une vocation très fonctionnelle et démonstrative : "Si on compare avec un autre grand industriel de la région, Michelin, jamais ces usines n’ont eu la même qualité architecturale qu’a mise Perret à Issoire. Ce n’est pas courant d’avoir des bâtiments de l’industrie lourde avec un programme architectural aussi abouti", insiste Christophe Laurent.Perret s’est inspiré de l’architecture antique, revisitée par des matériaux modernes. Photo Constellium Un sentiment partagé par Myriam Bayol, cheffe de projet Pays d’art et d’histoire à l’Agglo Pays d’Issoire :

"On connaît bien Auguste Perret pour sa reconstruction du centre-ville du Havre [inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, ndlr]. Mais on sait moins qu’on a fait appel à lui pour échafauder les plans de cette grande et belle usine. Il s’est inspiré de l’architecture antique, revisitée par des matériaux modernes."

Au même titre que les activités minières ou les manufactures de textiles, cette usine a une place de choix dans l’histoire du bassin d’Issoire. Mais pas seulement. À l’occasion des 150 ans de la naissance de l’architecte, le réseau national des Villes et pays d’art et d’histoire propose un cycle de six conférences sur l’œuvre de Perret. L’usine issoirienne étant ce lundi 19 février sous le feu des projecteurs. "Cette histoire architecturale se trouve au milieu d’autres constructions remarquables de Perret à Amiens, Le Havre, Grenoble ou Chalon-sur-Saône", se félicite Myriam Bayol.

Toujours adapté grâce à sa taille visionnaireLe bâtiment est encore parfaitement adapté aux besoins de l'usine issoirienne.

Aujourd’hui, le bâtiment, situé le long de l’Allier comporte l’atelier tôlerie de l’usine Constellium d’Issoire. "L’activité est identique à celle prévue à la construction : le laminage de tôles fines", explique-t-on du côté de l’usine issoirienne.Car si au cours des décennies, l’outil industriel a continué à se transformer, le bâtiment, lui, n’a pas trop évolué. "Ce sont des bâtiments construits pour être très solides. Avec, par exemple, des poteaux qui font un mètre de section. C’est colossal", décrit Christophe Laurent.

Comment l'usine Constellium d'Issoire travaille à la réduction de ses consommations ?

"Il est toujours adapté à notre activité grâce à sa taille visionnaire de 600 mètres de long et plus de 30 mètres de large. Il est régulièrement entretenu, et nous l’avons équipé de lumières Led", ajoute-t-on à Constellium. Plus de 400 personnes (sur les 1.600 de l’usine) travaillent ainsi chaque jour au sein de cet atelier qui œuvre pour des clients des secteurs de l’aéronautique, du transport ou du spatial.Une construction architecturale unique, au riche passé, qui continue plus que jamais d’écrire les belles pages de l’industrie issoirienne. Et ce n’est pas fini.

Jean-Baptiste Botella