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Israël : pourquoi la poursuite de la guerre contre le Hamas est le totem d'immunité de Netanyahu

Israël : pourquoi la poursuite de la guerre contre le Hamas est le totem d'immunité de Netanyahu

Alors que Tsahal, prépare à sa demande un assaut sur Rafah, Benjamin Netanyahu, fragilisé politiquement, campe sur une position guerrière maximaliste qui assure, au moins à court terme, son maintien au pouvoir.

Après avoir quasi rasé les deux tiers de l’enclave palestinienne, au prix d’un bilan humain effroyable  – le Hamas annonce le chiffre invérifiable de plus de 28.000 morts –, Tsahal, l’armée israëlienne, se prépare à donner l’assaut sur Rafah. Malgré les risques encourus par les civils qui ont massivement trouvé refuge près de la frontière égyptienne, Benjamin Netanyahu reste inflexible dans sa chasse au Hamas.

"Dégradation du soutien à Israël"

"Le Premier ministre israélien considère qu’il y a encore quatre bataillons du Hamas intacts dans la zone de Rafah sur les vingt-deux initiaux pour l’ensemble de l’enclave. La guerre d’attrition menée jusque-là contre le mouvement palestinien est sans doute un succès mais elle est loin d’être achevée. En acculant militairement le Hamas, il espère lui mettre la pression pour qu’il revoie ses exigences à la baisse dans les négociations pour une éventuelle trêve afin de parvenir à la libération des otages. Jusqu’à présent, le Hamas a parié sur le basculement des opinions publiques au détriment d’Israël et maintient des préalables maximalistes, en exigeant notamment que la trêve soit un cessez-le-feu pérenne et de pouvoir choisir dans une liste des prisonniers dont certains condamnés à perpétuité pour terrorisme", dévoile David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris (*). La réponse militaire israélienne est en effet jugée de plus en plus disproportionnée en raison du nombre de victimes civiles. Et l’État hébreu est en train de perdre la bataille des opinions publiques à l’échelle mondiale. "Il y a une dégradation très nette du soutien à Israël, et même celui des États-Unis commence à être questionné. On assiste à de plus en plus de mises en garde, d’interpellations sur le nécessaire respect du droit humanitaire international", poursuit le rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan).

"Les limites de cette opération à Gaza"

Benjamin Netanyahu reste pourtant sourd à tout changement de cap. "Il a dès le départ décidé de la destruction du Hamas en tant que mouvement. C’est faisable pour sa structure politico-miltaire mais beaucoup plus difficile pour le Hamas en tant qu’idéologie. On touche là aux limites de cette opération à Gaza, perceptibles aussi sur le flou entretenu quant au jour d’après", analyse le spécialiste de Proche-Orient. Ce jusqu’au-boutisme guerrier s’explique aussi par la fragilité politique du Premier ministre israélien, tenu pour responsable du massacre du 7 octobre par une bonne partie de sa population. "Il n’a réussi à libérer que deux otages depuis le début. C’est peu. En outre, cette opération s’est déroulée en surface. Or, la majorité des otages sont retenus dans des tunnels. C’est d’autant plus un échec relatif qu’il ne parvient pas à éliminer les cerveaux du 7 octobre, les frères Sinwar et Mohamed Deif. Or, il veut pouvoir présenter un trophée à sa population", avance David Rigoulet-Roze.

"Les colons profitent du chaos"

En attendant, les colons les plus extrémistes multiplient les avant-postes en Cisjordanie comme les exactions envers la population palestinienne. "De ce côté-là, les digues sont tombées depuis un moment mais les colons profitent du chaos ambiant, Tsahal se concentrant sur Gaza, pour pousser encore leur avantage. En plus, les deux ministres d’extrême droite, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir leur lâchent la bride en finançant les implantations et en distribuant des armes aux civils. Et Netanyahu est piégé par la précarité de sa coalition. Il sait très bien que si ces deux-là font défaut, son gouvernement tombe. Et s’il tombe, il sera mis hors-jeu", complète le chercheur.

"Il aura des comptes à rendre"

Entre les milliers de morts de Gaza et l’extrémisme des colons en Cisjordanie, même l’administration Biden perd patience. "Le président américain supporte de moins en moins l’obstruction Netanyahu qu’il voit comme un obstacle pour dessiner une perspective de sortie du conflit. Mais ce dernier s’accroche parce qu’il a conscience que si la guerre s’arrête, il y aura des élections et il les perdra. Une commission d’enquête sera créée et il aura des comptes à rendre. Sans parler des procédures judiciaires qui reprendront et qui le menacent de plusieurs années de prison. La guerre est, en quelque sorte, son totem d’immunité. Puis, il y a un calcul à double détente avec les élections américaines où il parie sur le retour de Trump à la Maison Blanche", pointe David Rigoulet-Roze.

"Trou noir sécuritaire"

Avec l’assaut imminent sur Rafah, l’Égypte se retrouve en première ligne. "Le Caire a deux niveaux de discours, explicite et implicite. Le premier, c’est :”nous n’accepterons pas une nouvelle Nakba comme en 1948”, avec l’expulsion en Égypte de centaines de milliers de Gazaouis de l’enclave. Le deuxième, plus implicite, est de penser sans le dire qu’il est inconcevable de laisser passer un tel flux de population dans lequel se trouveraient nombre d’activistes du Hamas, liés aux Frères musulmans, mouvance férocement réprimée dans le pays. L’Égypte ne peut donc pas se permettre d’avoir des centaines de milliers de réfugiés dans le Sinaï qui constitue déjà un trou noir sécuritaire", conclut le chercheur associé à l’Iris. (*) Institut de relations internationales et stratégiques. 

Dominique Diogon

Photo Abir Sultan / AFP

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