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Pourquoi Truman Capote fascine-t-il toujours autant ?

“Truman Capote” © Gaumont Columbia Tristar Films - “Feud” © Pari Dukovic/FX - “Scandaleusement célèbre” © Capture d'écran Youtube
Sur le grand ou le petit écran, la figure mystérieuse et mythique de Truman Capote continue de fasciner les cinéastes. 40 ans après sa mort, comment représenter aujourd'hui cette légende ?
“Truman Capote” © Gaumont Columbia Tristar Films - “Feud” © Pari Dukovic/FX - “Scandaleusement célèbre” © Capture d'écran Youtube

Il est l’écrivain qui a le plus intéressé le cinéma. Deux très beaux biopics lui ont déjà été consacrés –Truman Capote (2005) de Bennett Miller, et Infamous (2006) de Douglas McGrath –, et la deuxième saison de Feud lui est aujourd’hui dédiée.

Si les écrivain·es font généralement peu l’objet de biopics, c’est sans doute parce que l’acte d’écrire lui-même n’est pas furieusement cinégénique – imaginez un film de la longueur de Dune sur quelqu’un·e tapant à la machine ou l’ordinateur, ou rêvassant sur son fauteuil. D’ailleurs, dans Feud: Capote vs. the Swans, quand on aperçoit la machine à écrire de Truman Capote, c’est généralement en guise d’accessoire, l’écrivain étant plus occupé à virevolter autour un verre de bourbon à la main, en papotant ou en s’engueulant avec un ami présent dans son appartement. Capote a décidément quelque chose de plus : la mondanité glamour et alcoolisée. Mais Scott Fitzgerald partageait ces deux attributs, en plus de l’autodestruction, et pourtant, il n’a eu droit qu’à un très vague téléfilm, F. Scott Fitzgerald in Hollywood, en 1976. Alors, pourquoi Capote ?

Son empêchement à achever un roman et à le publier après De sang-froid en fait l’un des plus grands mystères de l’histoire de la littérature américaine – tout comme Salinger, qui ne semble pourtant pas troubler les nuits de Ryan Murphy ni d’aucun autre producteur. Non, si Capote fascine, c’est pour deux autres choses : avoir approché d’aussi près le mal (De sang-froid), et avoir trahi ses amies (La Côte basque, 1965). Capote est associé au meurtre, réel comme symbolique, sanglant ou social. Comme un écho, apparaît au détour de chaque épisode de Feud 2 le personnage d’Ann Woodward (Demi Moore), meurtrière supposée de son riche banquier de mari, et “victime” de Capote puisqu’elle se suicidera après la parution de La Côte basque, 1965 dans Esquire, en 1975.

Capote à la sauce Murphy

À travers le thème de la trahison, placé au cœur de Feud 2, c’est l’enjeu même du geste d’écriture qui s’exprime, se déploie, se révèle enfin véritablement. Lorsque, contre toute attente, l’écrivain “trahit” ses Swans en révélant leurs mensonges, leurs compromis les plus bas, la cruauté de leur vie, toute l’illusion qu’est leur existence, la saleté qu’elles camouflent à coups de robes Dior ou Bill Blass. Il faut absolument voir le deuxième épisode de la saison, quand elles se réunissent pour décider de leur vengeance. “Il nous trouve répugnantes”, s’étrangle Babe Paley (Naomi Watts).

Car qui sont ces Swans ? Des femmes rompues à la sociabilité, c’est-à-dire à l’artifice, au mensonge, à la vacuité, à l’hypocrisie. Snobs et soumises à la loi de l’argent, préoccupées de la perfection d’un bouquet de fleurs ou du choix de la teinte d’un carton d’invitation. Plus tard, dans le même épisode, Capote (génial Tom Hollander) se justifiera : “Qu’est-ce qu’ils croient que je fais ? J’écris. J’entends, j’observe. J’enregistre. […] Un artiste doit-il respecter les mêmes codes de bonnes manières ?” Ce qu’il a entendu et observé de cette “bonne société” (ces mensonges, ces cruautés) vaut d’être révélé. Ce qui se dit dans cet épisode, c’est la définition même de l’écrivain, qu’il s’agisse de Proust, Fitzgerald, Capote ou de beaucoup d’autres, jusqu’à aujourd’hui Annie Ernaux ou Christine Angot, par exemple. Un·e écrivain·e s’attaque à la sociabilité, pour exposer la vérité qu’elle cache, les petits ou grands meurtres qu’elle permet, sur lesquels elle se fonde même.

Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 15 février. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

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