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RN : de la peine de mort au travail, l’ambiguïté pour doctrine

RN : de la peine de mort au travail, l’ambiguïté pour doctrine

De leur hommage à Robert Badinter, leurs silences sont plus révélateurs que leurs mots. Marine Le Pen et Jordan Bardella ont salué avec retenue la mémoire de l’ancien ministre de la Justice, disparu le 9 février. La première a loué un "homme de convictions", dont "on pouvait ne pas partager tous les combats". Le second s’est incliné devant celui qui "a défendu toute sa vie ses idéaux, avec constance et éloquence". L’abolition de la peine de mort, legs de l’ex-garde des Sceaux, n’est pas évoquée dans ces messages publiés sur X (anciennement Twitter).

Le Rassemblement national a pourtant biffé dès 2017 le rétablissement de la peine capitale de son programme. Mais ses représentants prennent soin de ne décliner aucune opposition philosophique à cette sanction pénale. Aucune mise en garde contre une justice vengeresse. Nulle défense absolue de la vie humaine. Jordan Bardella y a affirmé dimanche sur France 3 son hostilité, sans lui donner sens. Le patron du RN est plus disert sur "l’effondrement de l’échelle des peines" depuis 1981 et la défense de la "perpétuité réelle".

Evolution sociologique et flou

La doxa frontiste concilie les contraires. Le partisan de la peine de mort peut applaudir ce discours musclé, purgé de toute "moraline". Son opposant n’a pas à craindre le retour de la guillotine. En 2022, Marine Le Pen prônait déjà un "moratoire" de trois ans sur les "sujets sociétaux"… tout en promettant l’introduction d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) sur ces thématiques. La doctrine frontiste n’est pas proposée à l’électeur. A lui de la bâtir, cela évite de se tromper.

Au RN, venez comme vous êtes. Cette ambiguïté idéologique s’accroît à proportion de l’élargissement de la base électorale du RN. Le parti souhaite pénétrer de nouveaux milieux sociaux, s’adresse à des électeurs aux intérêts divergents, et adapte son discours en conséquence. Mais, guère d’aggiornamento à l’horizon. Une doctrine ne succède pas à une autre. S’y substitue plutôt un épais brouillard, sur lequel chacun peut projeter ses convictions.

Comme sur le travail. La formation d’extrême droite doit répondre à des attentes contradictoires : une demande de protection de son électorat populaire et une valorisation du mérite des classes moyennes. Trois députés RN sur quatre se sont opposés à l’Assemblée nationale en septembre au conditionnement du RSA à quinze heures d’activité hebdomadaire. Jordan Bardella a pourtant défendu le 4 février l’existence de "contreparties aux prestations sociales de ce type". Un ministre s’étranglait récemment : "Sur le texte plein-emploi, ils nous ont reproché de nous en prendre aux plus faibles et ont développé une critique de l’assistanat. Ils gagnent en plus sur les deux tableaux."

Déconstruction ou camouflage doctrinal

L’ambiguïté nourrit des pans entiers du programme du RN. Marine Le Pen défend le remboursement de la dette - "un aspect moral essentiel" - malgré des propositions budgétaires augurant davantage de dépenses massives que d’économies substantielles. Elle a remisé au placard sa promesse de sortie de l’UE… mais a multiplié les flèches contre l’Europe après les appels à l’aide de la Première ministre italienne Giorgia Meloni lors de la crise de Lampedusa. "Cela fait longtemps qu’ils n’avaient pas repris un tel discours nationaliste, notait en septembre un conseiller de l’exécutif. Le seul truc qui empêche pourtant une partie de l’électorat de voter pour eux est la peur de l’inconnu envers l’Europe et nos engagements internationaux."

La doctrine frontiste mêle flou et radicalité. Cette dernière prend source dans le programme migratoire du RN. Mais là encore, le parti manie l’ambiguïté pour élargir son spectre. En décelant avec emphase une "victoire idéologique" lors de l’adoption de la loi Immigration en décembre, il lisse sa propre offre électorale. Si le gouvernement vient sur mes terres, comment qualifier mon offre politique ? Si mes idées essaiment partout, ne sont-elles pas plus difficiles à saisir ? "Ils installent l’idée que leur accession au pouvoir les amènerait à mener une politique plus modérée que celles qu’ils défendent pour y accéder", analyse un député Renaissance. En janvier 2023, Jordan Bardella promettait l’avènement d’un RN "incontournable […] sur le terrain des idées". Depuis, le parti n’a pourtant pas produit d’idées neuves. Son œuvre doctrinale est au mieux une déconstruction, au pire un camouflage.

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