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Une cérémonie 80 ans après : qui a informé les assaillants à l'origine du massacre dans ce moulin de Corrèze en 1944 ?

Vers 13 heures, le tir d’une fusée blanche déchire le silence dans ce coin de la vallée de l’Auvézère, aux confins des départements de la Dordogne et de la Corrèze, ce mercredi 16 février 1944.

C’est le signal pour déclencher le massacre. Depuis une heure, les hommes qui occupent le moulin de Lasveyras, tous réfractaires au Service du travail obligatoire (STO), se sont rendus à un détachement militaire allemand venu de Limoges.

Un groupe a été emmené vers des camions ; les autres, rassemblés entre les bâtiments et la rivière, sont allongés, face contre terre.

Au signal, cinq hommes sont relevés, reçoivent des coups de crosse, de couteau, de baïonnette avant d’être abattus. Le reste des prisonniers tente alors de s’enfuir, dans toutes les directions. Les armes automatiques crépitent. Une balle dans la nuque de chacun, à bout portant, achève le massacre.

34 hommes abattus sur place

On compte 34 victimes et un laissé pour mort. Deux hommes ont réussi à s’enfuir. Plus tard, cinq personnes vont mourir en déportation et sept autres vont survivre aux camps de concentration.

Quatre-vingts ans après, une cérémonie officielle leur rend hommage, près du moulin de la Résistance et de la mémoire du pont Lasveyras, une des commémorations marquantes du 80e anniversaire de la Libération en Corrèze et en Nouvelle-Aquitaine.En 2020, Geneviève Darrieusecq, alors secrétaire d'Etat, avait présidé la commémoration.

Le drame du 16 février 1944 sur la commune de Beyssenac constitue, avec Tulle et Oradour-sur-Glane, l’un des crimes de guerre commis par l’occupant nazi en Limousin.

Mais qui a signalé aux Allemands la présence d’une cinquantaine de jeunes hommes dans ce lieu isolé ? Deux thèses s’affrontent depuis la Libération, mais le travail de l’Amicale des familles et amis des victimes (AVAF), basée à la mairie de Lanouaille (Dordogne), en privilégie une, sur la base d’un travail de recherches historiques.

Depuis une quinzaine d’années, nous avons établi les biographies des victimes, collecté des dizaines de témoignages, consulté de nombreuses archives, départementales, de la justice ou militaires, insiste Jean-Claude Bellarbre, vice-président de l’association. Cela nous permet d’apporter des réponses à trois questions : comment s’est déroulé le drame ; quelle était la réalité du refuge du moulin ; comment les assaillants ont été informés.

Longtemps, un nom est revenu en boucle, celui d’une religieuse, Sœur Philomène. Son histoire, peu banale, a inspiré un film, Ici-bas, réalisé par Jean-Pierre Denis et sorti en 2012.

Il met en scène une religieuse qui, par dépit amoureux, dénonce un groupe de résistants dans lequel se trouve son amant. L’association évoque une "absurdité", pourtant transcrite dans de nombreux ouvrages sur le drame de Lasveyras, à partir des années 1970.

Une religieuse exécutée quelques jours avant

Un élément factuel a sans aucun doute donné naissance à cette thèse : Sœur Philomène a été exécutée au moulin de Lasveyras le 9 février 1944, quelques jours avant le massacre.

Le 23 janvier, alors qu’elle se trouve à Bergerac (Dordogne) pour une réunion de famille, cette religieuse, infirmière à l’hôpîtal de Thiviers, reçoit la visite de deux hommes, avec qui elle part.

Personne ne la reverra. Sur la base de recoupements, l’AVAF estime qu’elle a été séquestrée, par des mouvements proches de la résistance, pour faire pression et obtenir quelque chose, peut-être en lien avec son activité d’infirmière.

Elle n’aurait pas cédé ; devenue gênante, il faut s’en débarrasser, une mission délicate, finalement confiée à des hommes du moulin de Lasveyras, après leur avoir dit que Sœur Philomène les avait dénoncés… Plus tard, une rumeur selon laquelle l’exécution de la religieuse a déclenché l’intervention du détachement allemand, se répand.

À travers ses recherches, l’association a suivi l’itinéraire d’un autre personnage, le docteur limougeaud Lucien Dutheil. Depuis 1937, il est le propriétaire, avec sa femme, originaire de Ségur-le-Château, du moulin de Lasveyras. Il y vient en famille pour profiter du lieu à la belle saison.

Cette même année, il adhère au Parti populaire français (PPF), créé par Jacques Doriot. D’inspiration fasciste, ce mouvement va devenir, à partir de 1940, ouvertement collaborationniste.

"Aller nettoyer la vermine"

La section de Limoges a l’habitude de se réunir au domicile de Lucien Dutheil. En 1943, des notes des Renseignements généraux de la Haute-Vienne assurent que le docteur est trésorier du comité départemental de la Légion des volontaires français, qui recrute pour aller combattre en URSS, aux côtés des forces de l’Axe.

Pour gérer le moulin de Lasveyras, son propriétaire peut compter sur deux régisseurs ainsi que des métayers. Il est donc au courant de la présence de réfractaires du STO à Beyssenac.

Lors du procès de son patron, en 1945, le garde du corps de Lucien Dutheil rapporte qu’à plusieurs reprises, le docteur avait demandé aux Allemands "d’aller nettoyer la vermine qui occupait [sa] propriété".

C’est ce qu’ils ont fait, en prenant soin de ne pas incendier les bâtiments : plutôt inhabituel. Pour beaucoup, c’est la preuve que la responsabilité de Lucien Dutheil est engagée.

Ce dernier n’a pas assisté à son procès, à l’issue duquel il a été condamné à la peine de mort par contumace, avant une amnistie en 1960. Quelques jours avant la libération de Limoges, il disparaît, se cache, peut-être à Ségur-le-Château, chez ses beaux-parents.La stèle, près du moulin du pont Lasvayras à Beyssenac sur laquelle sont isncrits le nomdes victimes.

Une fuite en Argentine 

Deux ans plus tard, on retrouve sa trace en Argentine, où il va devenir représentant de produits pharmaceutiques français et suisses. Après l’amnistie de 1960, il parvient à toucher des fonds conséquents en provenance de France, peut-être la vente de ses propriétés.

Il décède en 1980, à l’hôpital allemand de Buenos Aires. Ce parcours, l’AVAF a pu le vérifier avec le petit-fils du docteur Dutheil, un homme installé aux États-Unis. Il est même venu en France, visiter le musée du moulin de Lasveyras, en juin 2022. Un chapitre qui pose d’autres questions : qui a aidé le docteur Dutheil et sa famille à fuir en Amérique du Sud ?

Massacre de Lasveyras : un musée aménagé sur les lieux du drame en Corrèze

Eric Porte

Publication. L’Amicale des familles et amis des victimes (AVAF) a publié deux livrets sur le drame : Pont Lasveyras 16 février 1944, essai de reconstitution d’une journée tragique ; Autour d’un crime de guerre pont Lasveyras 16 février 1944, du mythe à l’histoire (contact par mail : afavassociation@hotmail.com).

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