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La manif plutôt que la grève, la pétition plutôt que le vote ? L'action collective se transforme plus qu'elle ne décline

L’action collective se transforme plus qu’elle ne décline, c’est la conviction de Tristan Haute, sociologue (*), pour qui le phénomène évolue, ce qui pose tout de même question.

L’action collective se délite-t-elle ?

Pas forcément. On n’observe pas de déclin systématique de l’action collective mais plutôt l’expression d’une transformation de notre rapport à la politique, à la chose publique. On constate même une augmentation de certaines formes d’actions collectives. Par exemple, de plus en plus de personnes signent des pétitions. Idem pour la pratique de la manifestation, qui rassemble toujours. Le déclin, on le voit davantage sur le vote, sur l’engagement dans des partis politiques ou des syndicats, qui relèvent de décisions individuelles, mais cela ne signifie pas un recours moindre à d’autres formes d’actions collectives. À ce sujet, le mouvement de contestation de la réforme des retraites a été révélateur. Le taux de syndicalisation est très faible en France et les manifestations d’alors ont rassemblé un nombre conséquent de personnes, qui a rapproché, voire dépassé, les mobilisations de 1995.

Qu’est-ce qui change vraiment ?

Les grèves sont moins massives qu’autrefois, ce qui peut paraître paradoxal. Mais l’action collective continue à exister et elle a plutôt tendance à changer de forme, à moins s’ancrer dans le monde du travail. On l’a vu avec les Gilets jaunes, qui se sont déployés en dehors des partis et des syndicats. Le vrai déclin, on le voit sur les grèves. La part de salariés qui connaissent une grève sur le lieu de travail diminue et les salariés y participent moins. Il y a des soubresauts, comme en 2016, 2020 ou 2023, mais le recours à la grève est moindre. Depuis les années 1990, le vrai baromètre des mouvements sociaux, l’élément central de la mobilisation, ce sont les manifestations. Dans plusieurs secteurs, notamment dans le public, grève et manifestation restent liées. Mais de plus en plus de salariés ne peuvent plus se permettre de faire grève et se mobilisent sur la manifestation. D’où des mobilisations organisées le samedi par les syndicats.Tristan Haute, sociologue.

Les syndicats restent-ils des moteurs de ces actions ?

Ils restent forts dans le secteur public et tous les secteurs où leur présence demeure importante. Dans le privé, principalement le tissu des PME, la présence syndicale est faible et la mobilisation des salariés est perçue comme moins efficace, voire dangereuse. Ce qui est négociable dans le cadre d’un conflit sur le lieu de travail est faible. La mobilisation se fait donc plutôt sur des sujets nationaux, comme les retraites.

Y a-t-il des différences entre générations ?

On pense généralement que l’abstention chez les jeunes traduit un désintérêt pour la chose publique, mais ce n’est pas forcément le cas. Les générations les plus jeunes sont plus engagées que leurs aînés, notamment sur le climat ou sur des questions touchant aux discriminations.

Relevez-vous dans ces évolutions des motifs d’inquiétude ?

On parle souvent des organisations syndicales et des partis politiques qui n’auraient plus le contrôle des mobilisations ni le pouvoir de les incarner. C’est à relativiser. Certes, il y a eu les Gilets jaunes, mais aussi la mobilisation sur la réforme des retraites qui n’a pas remis en cause la légitimité des organisations syndicales sur cette question. Elles ont au contraire montré leur capacité à reprendre la main. Les inégalités face au recours à l’action collective sont plus inquiétantes. On voit des populations précaires, peu qualifiées, qui, à de rares exceptions près type Gilets jaunes, se tiennent à distance d’une grande partie de l’action collective, à distance de la chose publique. Le risque, si ces populations ne s’expriment plus, est que leurs préoccupations, leurs revendications ne soient plus prises en compte. Ce qui peut se traduire par des mouvements spontanés, imprévisibles, des explosions.

(*) Tristan Haute est maître de conférences en sociologie à l’université de Lille.

Patrice Campo

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