Pourquoi un éleveur s'arrête d'élever ? Exemple en Creuse
Un joli troupeau de limousines dans un champ verdoyant est accroché au mur au-dessus du bureau. C’est l’un de ces posters qui rappellent la noblesse du métier. Et donnent envie de le faire. Le bureau, beaucoup moins, encombré qu’il est de papiers et de courriers… Au milieu se trouve Xavier Devaud, qui a quitté quelques instants les étables adjacentes pour nous recevoir. « La presse veut parler d’agriculture au moment du Salon ou des manifs », moque-t-il gentiment quand on le sollicite. Ce n’est pas faux, mais c’est pour aller au-delà, explique-t-on. Parler de la décapitalisation, cet élevage qui arrête d’élever… Pourquoi pas, à condition d’aller au-delà, prévient-il.
Au-delà des statistiques et de la politique, qui, une fois débroussaillés, laissent place au terreau humain où s’enracine la seule agriculture qui vaille. Ainsi ne cherchez pas chez Xavier Devaud le discours misérabiliste sur son métier que diffusent un peu trop facilement syndicats et médias. Il est un éleveur qui arrête d’élever mais ce n’est pas le bout du rouleau que vous imaginez.
Décapitaliser pour soulagerLui, aime toujours la terre et l’élevage, passionnément. Et l’affaire qu’il gère avec son beau-frère, le Gaec du Chaudron, niché dans le bocage près de La Souterraine, est une belle entreprise familiale tout à fait saine. Jusqu’à récemment : 210 hectares dans l’un des meilleurs coins de Creuse, une moitié en terre labourables pour produire l’alimentation des troupeaux. Et toutes les bêtes inscrites, s’il vous plaît : 160 vaches mères et des taureaux de compétition. « Notre truc c’est de racheter les reproducteurs qui ont fait leurs preuves, en fin de carrière, on est un peu un Ehpad à taureaux », plaisante-t-il.
Faut-il moins de vaches en agriculture ? (juillet 2023)
Avant de se perdre dans d’autres pensées. Xavier Devaud refait l’enchaînement qui a conduit à réduire un tiers du troupeau dernièrement. 60 vaches en moins depuis l’automne 2022. « Il y a un an et demi j’ai eu un accident, en gros une bête a passé sa patte à travers ma cage thoracique… Il se trouve que dans la foulée de l’hosto on m’a découvert une maladie auto-immune… Maintenant ça va car il y a un traitement. Mais du coup, c’est soit les médocs qui m’évitent de souffrir mais m’enlèvent une grande partie de mes forces pour travailler. Soit je ne prends pas le traitement et je peux travailler, à pleine capacité, mais avec des douleurs… »
D’où l’idée de soulager la charge de travail en réduisant la voilure. À contrecœur. Mais qui a mûri d’autant plus vite que la situation personnelle de Xavier Devaud est venue se greffer sur un constat partagé depuis plusieurs années par de nombreux agriculteurs. Sur le plan agronomique : « Depuis cinq ou six ans, c’est de plus en plus compliqué de faire du foin l’été en quantité suffisante… L’an dernier, nous n’en avons même pas fait une seule botte ! Uniquement de l’enrubannage, fin-avril début-mai. Sachant que l’enrubannage, on s’y était mis il y a une quinzaine d’années, déjà en constatant que l’herbe poussait plus tôt ». Sur fond de changement climatique, le système d’élevage qui repose sur l’herbe touche donc aussi ses limites…
« Cela devient de plus en plus compliqué de faire du foin »Avec une centaine de panses seulement, le Gaec du Chaudron a donc calculé que ce serait plus gérable. Dans le calcul aussi, une certaine réorientation de la production. « Nous avons cherché quoi faire à la place des cultures qui ne servent plus à l’alimentation animale. Nous avons supprimé 30 hectares de triticale pour 15 hectares d’avoine blanche et 15 hectares de sorgho qui iront à la coopérative. L’avoine blanche sert par exemple pour les flocons de nos petits-déjeuners. »
Poursuivant la logique, les associés ont décidé d’investir dans un matériel de récolte avec l’argent des vaches qui venaient d’être vendues. « Nous avons trouvé près de Toulouse une moissonneuse d’occasion à 70.000 euros. Une machine en parfait état mais la plus petite possible et avec coupe repliable, adaptée à notre parcellaire… » Un choix de bon sens, de modération, qui est là aussi à l’inverse de la course à l’armement (et à l’endettement !) qui peut exister ailleurs dans les campagnes. Ici, on ne croit pas plus dans un éleveur qui se transforme en céréalier que dans un agriculteur qui pourrait grossir à l’infini.
Avant son accident cependant, Xavier Devaud avoue qu’il projetait de reprendre une centaine d’hectares ainsi que le salarié d’une exploitation où l’activité cessait… Dans ce monde agricole qui travaille le vivant, l’idée de croissance est comme une déformation professionnelle. Et dans ce monde paysan où c’est souvent une affaire de famille, l’idée de capitaliser semble inscrite dans l’ADN. Voilà pourquoi ce n’est pas évident de faire la démarche inverse. Parfois, il y a autant de courage, sinon plus, à réduire l’activité, voire l’arrêter, qu’à continuer tête baissée. De la sagesse aussi. Ainsi les deux associés ont tranché récemment pour une mise en vente de leur affaire.
Décapitaliser pour mieux vendreXavier Devaud résume : « J’ai 61 ans, j’aurai droit à la retraite à 62,9 en décembre 2025. Et dans mes conditions je vais la prendre. Or mon beau-frère n’a pas l’intention de péter un câble à 56 ans, lorsqu’il va se retrouver à gérer seul une exploitation comme celle-là. Il va se reconvertir et notre salarié, qui est un bon, n’aura aucun mal à trouver du travail pas loin ! ». L’offre a donc été publiée sur le RDI des Chambres d’agriculture (Répertoire Départ Installation), où sont mis en relation cédants et candidats. Les deux associés pensent qu’il y a un moment opportun pour valoriser au mieux ce qu’ils ont bâti, et que la réduction du cheptel et la réorientation des céréales rendent le tout plus attractif. Partir au sommet de leur art, sans tout gâcher : tel est l’objectif maintenant des deux associés. Ils ont récemment été réconfortés par des touches qui ont eu lieu avec de potentiels intéressés, des agriculteurs sérieux.
Floris Bressy
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