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“Pour les siècles des siècles” : Alain Guiraudie poursuit sa mise en délire de la littérature

L’écrivain-cinéaste signe un troisième roman libre et épique, politique et hilarant.

Les romans du cinéaste Alain Guiraudie sont des folies au sens architectural : tombées dont on ne sait quel ciel, des constructions bizarres, des cabanes de traviole, des guitounes bricolées qui revendiquent leur artifice et l’exagèrent. Le tout formant une nouvelle maison du facteur Cheval en plus interlope, ou mieux, une fête furieusement foraine où le frisson du grand huit le dispute aux délices du chamboule-tout.

Si vous avez manqué le précédent épisode (Rabalaïre) et le film qu’il a en partie inspiré (Viens je t’emmène), Alain Guiraudie a la bonté de les résumer en deux pages gorgées d’autodérision qui, fidèles au style de son esprit frappadingue, noient le poisson en l’accusant de la rage. Bref, si l’on peut dire, car la concision n’est pas la passion majeure de l’auteur, c’est reparti pour un tour de manège, à cheval sur un sympathique cochon (l’ami Jacques) ou le nez dans les seins d’une sirène (la belle Rosine).

Même si l’effet de cet introït censément éclaircissant est de nous embrouiller un peu plus, il est comme un topo-guide au seuil d’une randonnée dont la longueur (422 pages qui sont comme 422 kilomètres à pied) n’est pas une épreuve mais une invite à baguenauder. Sur le chemin, rien n’interdit de sauter certains passages trop pète-gueule, de se reposer dans un gîte de verdeurs poétiques ou de philosopher dans un boudoir.

Avec beaucoup de cingleries en tête et pas mal de queues (et de chattes) dans la culotte, on retrouve dans ce récit outré et outrageant tout ce qui nous fait adorer Guiraudie au cinéma comme en littérature : un franc-parler qui fait honneur au parler franc des damné·es de la terre, une passion du fantastique dans l’ordinaire et surtout un goût de l’aventure politique qui tambouille, sans que cela tourne à la bouillie, quelques espoirs de notre épique époque opaque : le féminisme accorte, le masculinisme dépoissé du machisme, le joyeux mélange des genres (et pas seulement littéraires). Comme une utopie qui hurle qu’on pourrait vivre autrement.

Pour les siècles des siècles d’Alain Guiraudie (P.O.L), 422 p., 24.90 . En librairie le 7 mars.

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