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En Haute-Savoie, au pays de l'or blanc, le choix controversé de la neige artificielle

Jouxtant le guichet où les skieurs viennent acheter leur forfait, un panneau renseigne sur la toponymie du lieu. Hir, comme herbe, et mente, qui signifie montagne. En ce début de vacances d’hiver, Hirmentaz (les gens du coin prononcent Hirmente), la montagne de l’herbe, n’a jamais aussi bien porté son nom.

Jusqu’à son point culminant, à 1.610 m, les pentes sont invariablement vertes, hormis une mince coulée blanche, dans la combe, où descendent de rares adeptes de la glisse. Des enfants, surtout, guidés par leur moniteur, qui donne de la voix : "Passez à droite de la bande de terre !" Dans cette station familiale du Chablais, le massif qui surplombe le lac Léman au nord de la Haute-Savoie, des générations de gamins des écoles du coin où en classe de neige ont appris à skier.

"À notre échelle, un truc de fou"

Mais la neige qui subsiste, ce 20 février, a été produite essentiellement par les 82 canons, mis en marche quelques jours à la mi-janvier, lorsque les températures s’y prêtaient. "Il faut qu’il fasse - 3 °C pour qu’ils fonctionnent", explique Claude Bernaz, propriétaire de l’hôtel-restaurant Les Skieurs et directeur de la station. "Je ne nie pas l’impact du changement climatique, l’effet des 2 °C supplémentaires, nous le constatons en montagne. Mais là, c’est vraiment exceptionnel, il fait 7° C de plus que la normale."

En Haute-Savoie comme ailleurs, de nombreuses stations de moyenne altitude sont fragilisées. Certaines réfléchissent à diversifier leurs activités, d’autres ferment leurs remontées mécaniques, comme à La Sambuy. Hirmentaz, commune de Bellevaux, a fait le choix de la neige dite "de culture". Avant l’ouverture de la saison, les élus ont inauguré la nouvelle retenue collinaire, étendue de 22.000 à 75.000 mètres cubes, un lac artificiel à 1.400 m d’altitude, dont l’eau est destinée avant tout aux canons à neige. Montant des travaux : 3,5 millions d’euros. "À notre échelle, nous avons réalisé un truc de fou", reconnaît Claude Bernaz.

La nouvelle retenue collinaire, à 1.400 m d'altitude.  

Retenir l’eau, qui vient à manquer lors d’étés de plus en plus chauds et secs, pour fabriquer de la neige, voilà qui braque les défenseurs de l’environnement. Lors de l’enquête publique en mars et avril 2021, préalable au chantier, la Fédération de Haute-Savoie pour la pêche et la protection des milieux aquatiques avait rendu un avis négatif sur le projet d’extension de la retenue collinaire.

Deux associations locales, qui militent pour la transition écologique et la protection de l’environnement, Transition d’Enfer (en référence au Roc d’Enfer, un sommet proche) et Vivre en Vallée verte (du nom d’une vallée voisine), ont également émis des critiques, sans déposer de recours. "Nous cherchons à monter des projets avec la commune et la population, pas contre", explique Antoine Berger, militant à Transition d’Enfer. « Nous sommes peut-être passés côté de quelque chose", estiment de leur côté Nicolas Jelic et Georges Bouvier, de Vivre en Vallée verte, en sirotant une bière locale, dans un café associatif d’Habère-Poche, village séparé de Bellevaux par le col de Terramont. "Mais la retenue d’Hirmentaz existait déjà, elle a simplement été agrandie, dans une zone déjà bien terrassée. Ce n’était pas le scandale écologique du projet de La Clusaz."

Moratoire à La Clusaz

Station emblématique proche d’Annecy, La Clusaz, qui culmine à 2.600 m, ne boxe pas dans la même catégorie qu’Hirmentaz. Mais là aussi, élus et professionnels du tourisme n’envisagent pas l’avenir sans neige artificielle. "Ils avaient le projet de créer une cinquième retenue, de 148.000 mètres cubes, en défrichant une zone en partie boisée, et de la remplir en pompant un cours d’eau 300 mètres plus bas", peste Nicolas Jelic.

Les débats entre pros et antis se sont crispés, des opposants ont occupé le site, jusqu’à ce que le tribunal administratif de Grenoble suspende en référé, en octobre 2022, l’arrêté préfectoral autorisant les travaux, forçant ensuite le maire, Didier Thévenet, à annoncer, le 4 septembre 2023, un "moratoire" sur la construction.

L’extension de la retenue d’Hirmentaz a fait moins de tapage. Claude Bernaz assure que son impact sur l’environnement est minime. "Sur le million de mètres cubes d’eau du bassin versant, nous prélevons 75.000 mètres cubes, soit 7,5 %. Cette eau est transformée en neige artificielle puis restituée au milieu naturel lorsque la neige fond, moins 10 % du volume de la retenue, qui s’évapore. Et, contrairement à l’ancienne retenue, nous ne la remplissons plus en prenant sur le réseau d’eau potable."

Claude Bernaz, directeur de la station, dans son hôtel-restaurant.  

Jean-Louis Vuagnoux, maire de Bellevaux, abonde : "La retenue doit être pleine fin mai, ensuite, on ne prélève plus. L’eau sert aussi à l’abreuvement du bétail l’été. Le débit du Risse (le cours d’eau local) est très contrôlé par l’Agence de l’eau."

Les associations restent sceptiques. "La commune contracte un emprunt important pour un équipement qu’elle n’est pas sûre de rentabiliser et qui ne peut pas fonctionner quand il ne fait pas assez froid. Cet argent aurait pu servir à autre chose", observe Antoine Berger. "Les collectivités devraient soutenir les stations et les commerçants en les aidant à préparer la transition, pas en continuant à subventionner ce modèle du tout-ski qui va s’effondrer", juge Benjamin Joyeux, journaliste indépendant en Haute-Savoie, créateur du site d'information Librinfo74, et conseiller régional écologiste qui siège dans l’opposition.

320 emplois liés au tourisme

De fait, sur les 3,5 millions d’euros nécessaires à la nouvelle retenue, 1,2 million d'euros ont été apportés par le Département de Haute-Savoie et 600.000 euros par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Le reste, 1,7 million d'euros, est financé par la commune de Bellevaux. Un coût important pour un village de 1.400 habitants.

L'accès aux pistes à Hirmentaz.  

Mais selon Jean-Louis Vuagnoux, cet investissement était vital. "Bellevaux compte 320 emplois à l’année dans le tourisme, dont 200 sur le secteur d’Hirmentaz. La station est notre moteur économique. Nous n’avons pas trouvé ce qui pourrait remplacer le ski. Les activités d’été sont financées par ce que rapporte l’hiver. Nous pensons à nos commerçants et nos hôteliers."

Ces derniers déploraient, fin février, une fréquentation moindre de 50 à 70 % par rapport à un hiver normal. Tous attendaient un refroidissement annoncé pour pouvoir mettre en marche les canons. Et espéraient le retour de la neige. La vraie.

Jean-Mathias Joly, à Hirmentaz

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