World News in French

"Sephora kids" : les ravages des crèmes anti-âge chez les enfants

C’est un classique du genre. Smartphone posé entre la vasque et le miroir de sa salle de bains, une demoiselle se filme en train d’"entretenir sa peau" en musique. Ces tutoriels font partie des plus anciens et plus populaires formats des réseaux sociaux. Sauf qu’à l’image, la jeune femme qui dodeline en s’appliquant un masque, une crème et une lotion, princesses et lutins sur le pyjama, n’en est pas une : elle n’a que 10 ans et aucune ride.

La vidéo en question a été réalisée par North West, fille du rappeur Kanye West et de la star de la téléréalité Kim Kardashian. Publiée sur TikTok fin 2022, elle fait partie des succès du genre, version enfantine des contenus où les "grandes" testent les produits envoyés par des marques en quête de notoriété. Plusieurs millions de fillettes ont ainsi vu l’enfant d’Internet se badigeonner de toutes sortes de décoctions. Et à leur tour, se sont secouées devant leur téléphone, armées des cosmétiques de Maman.

@kimandnorth

♬ santa tell me dirty ver - honeymoonspeed ????♡????

Plutôt récente, cette tendance, regroupée sous le hashtag #Sephorakids, comptabilise déjà plus d’un demi-milliard de vues, rien que sur la plateforme chinoise. Qu’importe si ces produits ne sont pas adaptés à des visages aussi juvéniles - d’une dizaine d’années tout au plus - et dont la peau vient à peine d’être formée. "Il n’y a aucune justification pour utiliser ce genre de produit sur ces populations. La pratique est a minima inutile et peut même s’avérer dangereuse" s’insurge Christine Lafforgue, chercheuse membre de la Société française de cosmétologie.

Des produits agressifs sur des peaux sans défauts

Avec une telle popularité, la pratique inquiète. Aux Etats-Unis, où la tendance a démarré et même en France, de plus en plus de dermatologues sonnent l’alarme sur leurs propres réseaux sociaux. Tous rappellent que l'usage de crèmes anti-âge, de raffermissants ou encore de puissants "peelers", ces lotions qui éliminent la surface de la peau pour en retirer les imperfections est contre-indiqué à cet âge. Car avant la puberté, la peau ne comporte aucune des rides et taches qu’ils sont censés masquer. "Elle est au contraire plus fine et plus sensible, car immature", précise le docteur Brooke Jeffy, une des spécialistes américaines a avoir lancé l'alerte.

Rougeurs, plaques, acné... Les cosmétiques, s'ils sont inutiles à cet âge peuvent au contraire générer d’importantes irritations à cause de certains principes actifs agressifs, comme le rétinol ou les acides de fruits (AHA). Sur toutes les peaux, mais surtout sur les peaux à tendance atopiques. Or celles-ci sont très fréquentes chez les enfants, souvent sujets à l'eczéma par exemple. "Dans les cas les plus extrêmes, ces lésions peuvent être permanentes", prévient la chimiste Christine Lafforgue. Ces dernières semaines, de plus en plus de vidéos montrant ces dégâts s’échouent aussi sous le hashtag "#Sephorakids".

Aucune précaution d’emploi

Une pratique d’autant plus dangereuse que si les industriels doivent prouver l’innocuité des cosmétiques, rien ne les oblige à réaliser leurs tests sur des enfants. Ainsi, dans les faits, il est très rare que cette classe d’âge participe aux essais organisés par les marques. Il n’existe donc quasiment aucun recul sur un usage précoce et répété de ces produits, qui sans être des médicaments, sont loin d’être anodins et comportent parfois des ingrédients controversés, accusés notamment d’être des perturbateurs endocriniens et de déclencher des pubertés de plus en plus précoces.

Les jeunes filles désireuses de faire comme sur les réseaux sociaux ont-elles le libre arbitre nécessaire pour se prémunir de ces risques ? Aux États-Unis, elles se ruent désormais dans les rayons beauté devant des employés ahuris qui, en se filmant à leur tour pour dénoncer la tendance, ne font que l’alimenter malgré eux. "Combien de ces bambins savent par exemple que certaines crèmes accentuent les brûlures du soleil et qu’il ne faut donc jamais s’exposer ?", déplore Laurence Coiffard, cosmétologue et conseillère de l’Agence nationale de sécurité du médicament, en voyant ces images.

Les parents doivent être informés des dangers

Autre risque : le mésusage. Sans surveillance, certaines enfants pourraient considérer que ces réactions sont normales. Ne dit-on pas qu’il faut que ça pique un peu pour que cela soit efficace ? Elles pourraient aussi être tentées d’appliquer plus de lotions, pour corriger les effets indésirables. Comment peuvent-elles savoir si elles ont des allergies ? "Les petites filles sont complètement étrangères aux compositions des produits et choisissent sur la base des couleurs sur l’emballage", souligne Laurence Coiffard, effarée par le succès de la pratique. Et quand bien même les parents seraient présents, il faudrait encore qu’ils soient informés de ces dangers.

Derrière la pratique, il y a souvent l’idée, véhiculée par les marques, qu’une bonne routine cosmétique, ou "skin care routine" en anglais, pourrait avoir un effet préventif sur le vieillissement de l’épiderme. "On capitalise sur la peur de vieillir", pointe Annick Barbaud, dermatologue à l'hôpital Tenon (AP-HP). Il serait alors bon de commencer le plus tôt possible, se disent certains parents. C’est faux : "Mettre de l’antirides à partir de 5 ans n’empêchera pas le vieillissement", s’étrangle la cheffe de service.

Si hydrater sa peau et la protéger des UV peut être bénéfique, aucun cosmétique n’agit directement sur le fonctionnement de la peau. Le mieux : bien dormir, bien manger, ne pas fumer, ni boire, et surtout, ne pas s’exposer trop longtemps au soleil. Adieu donc, le minois hâlé, pourtant lui aussi érigé en modèle sur les réseaux sociaux.

Читайте на 123ru.net