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8 essais féministes pour le 8 mars

Ceci est mon temps, d’Elise Thiébaut (Au Diable Vauvert)

Attention, tout ce que vous avez lu jusqu’ici sur la ménopause risque de prendre un coup de vieux. Avec Ceci est mon temps, Elise Thiébaut – qu’on lit avidement depuis son best-seller sur les règles Ceci est mon sang, paru en 2017 – prend à-bras-le corps le sujet du climatère, soit les années de changements hormonaux que subissent les femmes autour de la ménopause. Profitant de cette proximité sémantique avec les sujets qui touchent au réchauffement climatique, l’autrice et directrice de la collection Nouvelles Lunes inscrit son essai dans une perspective écoféministe et se demande, très justement, si la planète ne serait pas en train de ménopauser elle aussi. Comme toujours dans les livres d’Elise Thiébaut, l’humour le dispute à l’érudition, et les anecdotes personnelles servent un récit à la fois intime et universel. Un essai qui donne (presque) envie de vieillir.

Nous n’avons pas peur – le courage des femmes iraniennes, de Natalie Amiri et Düzen Tekkal (Éditions du Faubourg)

Seize Iraniennes prennent la parole à travers des témoignages puissants, pour prolonger le cri de révolte Femmes ! vie ! liberté ! que pousse la jeunesse du pays depuis l’assassinat de Mahsa Amini en 2022. Elles sont Prix Nobel, comme Shirin Ebadi ou Narges Mohammadi, actrice, comme Golshifteh Farahani, en exil ou toujours dans leur pays, libres ou en prison, et elles parlent de leurs combats aux deux journalistes allemandes Natalie Amiri et Düzen Tekkal. Traduites par Mathilde Ramadier (à qui l’on doit entre autres le formidable essai Vivre fluide), ces histoires de femmes qui ne baissent jamais les armes, réunies sous le titre Nous n’avons pas peur, sont tour à tour révoltantes, tragiques, belles et inspirantes. À les lire en tout cas, on entend résonner leurs voix.

Ono, de Camille Viéville (Les Pérégrines)

Elle est pour beaucoup de fans des Beatles celle qui a précipité leur séparation. Un postulat évidemment aussi faux que sexiste mais qui a la peau dure, tant Yoko Ono se traîne cette image de manipulatrice et briseuse de groupe depuis les années 1960. Camille Viéville, beatlemaniac depuis l’adolescence, part de ses propres souvenirs a priori pour les examiner avec sa loupe féministe, et dresser le portrait d’une femme libre et iconoclaste, dont l’influence rayonne autant sur le rock que sur l’art contemporain. Après Yoko Ono de Julia Kerninon, paru fin 2023 et qui rendait déjà hommage à la musicienne et artiste, cet essai passionnant intitulé Ono continue de remettre les pendules à l’heure et de réhabiliter celle qui, souvent traitée de sorcière, a toujours été fière de l’être.

Ne suis-je pas un·e féministe, d’Emmanuel Beaubatie (Seuil)

En écho à Sojourner Truth et bell hooks, qui ont respectivement inventé puis repris la formulation “ne suis-je pas une femme?” pour dénoncer l’exclusion des femmes noires des luttes féministes, le sociologue Emmanuel Beaubatie s’interroge, Ne suis-je pas un·e féministe?, pour mener une réflexion sur la place des personnes transgenres dans ces mêmes combats. Visées par la transphobie, objets réguliers de rejet et de haine depuis plus d’un demi-siècle et la parution de L’Empire transsexuel de Janice Raymond, qui les présente comme “des hommes colonisant les espaces féministes pour y commettre des viols”, les femmes trans ne peuvent-elles pas se revendiquer du féminisme comme leurs homologues cis ? Dans une démonstration accessible et claire, qui convoque les travaux majeurs réalisés sur le genre depuis plusieurs décennies, Emmanuel Beaubatie souligne la pénibilité pour ces dernières d’avoir à se poser continuellement cette question.

Au Revoir, Simone !, de Léa Chamboncel (Belfond)

Pas davantage une biographie du groupe de pop féminin qui porte ce nom qu’un appel à dire au revoir à la pensée de Simone de Beauvoir, le nouveau livre de Léa Chamboncel est un essai hybride sur le féminisme politique. “Comment le féminisme pourrait-il, à l’instar du socialisme aux XIXème et XXème siècles, devenir un projet politique qui redéfinirait les rapports au sein de nos sociétés et permettrait de s’extraire de la domination, de l’oppression et de l’exploitation sociale et environnementale ?”, s’y questionne l’autrice. Fine observatrice politique ayant développé une approche pop et vivante de ces sujets, en témoigne son passionnant média Popol, Léa Chamboncel a décidé d’apporter une réponse tout sauf ennuyeuse et jargonnante à cette problématique, en empruntant une voie à mi-chemin entre essai et fiction. En mettant en scène des futurs possibles et en décrivant en pratique, par le biais de l’imagination, les façons d’y parvenir, Léa Chamboncel éclaire dans Au Revoir, Simone !, le chemin de toutes celles et ceux qui se demandent comment transformer la société par le féminisme.

Utérus – cet organe méconnu aux pouvoirs extraordinaires, de Leah Hazard (Les Arènes)

D’après des études réalisées en 2016 et 2017 […], de nombreuses jeunes femmes sont incapables de nommer correctement les différentes parties de l’appareil reproducteur féminin. Parmi les hommes, seuls 50 % ont été capables d’identifier un vagin sur un croquis anatomique, et pour ce qui est de localiser l’utérus… moins le grand public en sait sur cette caverne mystérieuse, mieux cela est, semblerait-il”, écrit Leah Hazard, sage femme diplômée de Harvard en littérature (certaines ont décidément toutes les qualités !) dans son indispensable essai Utérus. De fait, vous saurez tout sur l’utérus après la lecture de ce “best-seller international”, qui se consacre à l’organe féminin – et (trans)masculin ! – avec une approche féministe et intersectionnelle. Un classique instantané, et une manière passionnante de se réapproprier son corps grâce à la connaissance.

Mary Sidney alias Shakespeare, d’Aurore Evain (Talents hauts)

L’œuvre de Shakespeare a-t-elle été écrite par une femme ? C’est la question que pose Mary Sidney alias Shakespeare d’Aurore Evain. Cette comédienne et metteuse en scène “spécialiste du matrimoine théâtral” a d’abord posé cette question sur scène, dans une pièce qu’elle a écrite en se basant sur les recherches de l’Américaine Robin Patricia Williams (autrice en 2006 de Sweet Swan of Avon: Did a Woman Write Shakespeare?), avant d’en faire à son tour un livre. Avec une documentation colossale et un humour non moins immense, Aurore Evain nous entraîne dans une enquête passionnante à travers l’Angleterre de la Renaissance, à la découverte de la géniale Mary Sidney, comtesse de Pembroke, qui pourrait être celle qui se cache derrière les textes d’un William Shakespeare aux airs de chimère. Un livre aussi génial que déroutant, qui met en exergue l’invisibilisation des autrices à travers les siècles.

Vivre une vie féministe, de Sara Ahmed (Éd. Hors d’atteinte)

La traduction en français de  l’ouvrage de l’autrice britannique féministe et chercheuse Sara Ahmed, Living a feminist life, paru en 2017, est enfin disponible. Dans cet ouvrage, cette figure majeure de la phénoménologie queer décortique le mot “féminisme”, explore “les sensations et les déclics” qui amènent nous y plonger et propose “une trousse de survie féministe et un manifeste pour les rabat-joies”. Son Manuel rabat-joie féministe (The Feminist Killjoy Handbook, 2023) vient d’ailleurs lui aussi d’être traduit en français, aux éditions de La Découverte cette fois, quand les éditions Burn août viennent de rendre disponible en VF le court recueil Vandalisme queer. Ou trois occasions idéales de se familiariser avec les textes de cette very important autrice.

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