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Le triomphe des romanciers à gros sabots

Des romans aux airs de blockbusters bien ficelés. On les voit arriver de loin, et pourtant, la formule fonctionne encore.

Le prix Goncourt décerné l’année dernière à l’indigeste Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andrea, s’impose décidément comme le symbole de l’air du temps. Ce qui marche, aujourd’hui, ce sont ces bons gros romans “romanesques”, écrits par des romanciers-tâcherons. Mais c’est quoi, au fait, un romancier-tâcheron ? C’est celui qui vise le job bien fait, dans les règles, efficace et tout, et surtout pas l’art (ce gros mot élitiste). Résultat : on a vu récemment le succès de romans un brin roublards, qui nous donnent une impression de “déjà lu” tant ils semblent calqués sur des modèles qui marchent.

Des chorégraphies de poncifs

Il y a eu Le Fils de l’homme de Jean-Baptiste Del Amo il y a trois ans, Humus de Gaspard Koenig lors de la rentrée dernière, Fantastique histoire d’amour de Sophie Divry et La Vie heureuse de David Foenkinos en janvier, L’Origine des larmes de Jean-Paul Dubois et D’or et de jungle de Jean-Christophe Rufin aujourd’hui. Et bien sûr Joël Dicker, qui vient de commettre le volumineux Un animal sauvage, un livre avec du mystère qu’il faut éclaircir… Même si certains d’entre eux se parent d’un gloss littéraire, il ne faut pas en être dupe. Tous ces romans fonctionnent sur des trames déjà rodées, dans un seul but : maintenir le lecteur en haleine, le rendre accro (qu’est-ce qui va se passer à la prochaine page ?).

Peu originaux donc, ils ont des points communs entre eux, comme s’ils étaient les fruits d’algorithmes, voire écrits par une IA : ils prennent souvent la forme d’un thriller, font se rencontrer deux personnages que tout semblait opposer (tout finira bien), personnages qui sont d’abord largués ou dépressifs (ils iront mieux). Ils accumulent les clichés formels comme de fond, n’ont aucune singularité stylistique, s’ancrent forcément dans l’époque, la nôtre, dont ils prennent soin de caser les gimmicks à toutes les pages, ou une période historique (le fascisme, de préférence). Ils donnent très souvent le bulletin météo pour mieux “installer” une scène, le problème étant qu’ils font justement des scènes, et accumulent les dialogues comme s’il s’agissait d’un scénario, voire carrément d’un film.

Car même si, de temps en temps, le romancier-tâcheron prend soin de parsemer son texte d’aphorismes sur la vie, la mort et la coiffure pour mieux faire “littéraire”, le vrai problème, c’est qu’en fait, il tourne un film. Ou une série. Dans sa tête. Et il nous le donne à voir. Mais pour dire quoi ? Rien. Juste pour nous distraire. Juste pour l’entertainment. Est-ce suffisant ?

Édito initialement paru dans la newsletter livres du 14 mars 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

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