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Génocide des Tutsi au Rwanda : funeste trentième anniversaire, par Frédéric Encel

Voilà trente ans, en cent jours, se déroula au Rwanda le dernier génocide du XXe siècle, après celui des Arméniens par le pouvoir Jeune-Turc ottoman (1915-1916) et celui des juifs par le IIIe Reich et ses complices (1941-1945). Déclenché le 7 avril 1994 à la suite de l’assassinat du président dictateur hutu Juvénal Habyarimana, attentat qui représenta le prétexte et le signalement - et non la cause - du génocide, cet "ouragan de mort" (dixit l’historien Jean-Pierre Chrétien) frappa plus de 800 000 civils tutsi, abattus par un gouvernement Hutu Power fanatiquement raciste et une grande partie de la population, majoritairement hutu.

Trois décennies plus tard, le monde géopolitique a changé, mais deux rappels s’imposent, dont le premier concerne la France : sous François Mitterrand, un président de la République pouvait sans scrupule nommer son propre fils – notoirement incompétent en l’espèce – à la tête de la puissante "cellule Afrique" de l’Elysée, pilier majeur de la décriée Françafrique, puis passer outre les organes de commandement et la chaîne de décision traditionnelle en temps de crise militaire pour privilégier un pilotage quasi direct et volontiers occulte : le fils, le chef d’état-major personnel, des godillots aveuglément obéissants, voire des mercenaires… Durant les trois années précédant le génocide, et alors que tout indiquait que le pouvoir hutu se radicalisait, l’Elysée aura systématiquement privilégié son soutien militaire face aux rebelles extérieurs et écarté les voix et multiples indices avertissant du drame à venir. Pire : la complaisance – beaucoup parlent de complicité – vis-à-vis du régime génocidaire mis en place début avril 1994 (à l’ambassade de France à Kigali !) se poursuivra jusqu’à sa chute en juillet…

Irresponsabilité

Aujourd’hui, un scénario d’une telle irresponsabilité serait sans doute difficile à concevoir, pour deux raisons. D’abord, comme pour conjurer le passé et éviter l’infamante accusation de laisser faire à nouveau, la France est intervenue deux fois afin de stopper des massacres de masse en Afrique subsaharienne francophone ; parmi les variables qui ont entraîné la décision d’intervenir en Côte d’Ivoire en 2002 (opération Licorne) et en Centrafrique en 2013 (opération Sangaris) – et même si les contextes et circonstances étaient fort différents de ceux du Rwanda –, la primordiale fut en effet de s’interposer. Avec succès.

Ensuite, la lubie paranoïde dite du "syndrome de Fachoda", consistant à voir partout la main hostile des Anglo-Saxons, d’une part, le calque délirant de la Révolution de 1789 sur celle "sociale" des Hutu contre les Tutsi "aristocrates" d’autre part, n’aura heureusement plus cours. Ils contribuèrent hélas largement au coupable aveuglement anti-tutsi de l’Elysée avant, pendant et parfois même après le génocide. En reconnaissant les "responsabilités" de la France au Rwanda lors de sa visite officielle à Kigali en 2021, Emmanuel Macron enterrait ces fantasmes pseudo-géopolitiques d’un autre âge.

Naufrage onusien

Le second rappel, double, est le suivant. D’abord, aucune autre puissance ne s’illustra. L'ONU, sous l’égide de l’inconséquent secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, fit naufrage en retirant 90 % des Casques bleus au pire moment, dont le précieux contingent d’une ancienne puissance coloniale belge bien piteuse ; les Etats-Unis du président Clinton se détournèrent activement de la tragédie, de crainte d’être sollicités à nouveau dans la région après leurs pertes récentes en Somalie. Quant à la Russie et la Chine, elles étaient alors dépourvues de volonté et de capacité d’intervenir dans l’Afrique des Grands Lacs ! N’oublions pas l’Afrique elle-même ; au cours du génocide, aucun des nombreux Etats voisins n’intervint, ce qui traduit a posteriori la vacuité du concept d’Afrique au sens uni et/ou solidaire du terme.

Ensuite, ce génocide authentique (gare au galvaudage paresseux ou militant des termes à l’heure actuelle !), avec ses centaines de milliers de meurtres, viols, actes de tortures et exhibitions sadiques des horreurs commises sur des vieillards, des femmes et des enfants par des hommes armés, fut la conséquence directe d’un enseignement du mépris (dixit l’historien Jules Isaac) pluridécennal, d’un racisme incandescent, d’une misogynie extrême. Les colonisateurs allemands (1894-1916), puis belges (1916-1962), avaient certes introduit la fausse notion des deux races, mais ce furent bien des locaux qui, pétris de propagande haineuse, exterminèrent leurs voisins.

Frédéric Encel, chroniqueur à L'Express, auteur d’une thèse de doctorat sur Jérusalem, publiée sous le titre Géopolitique de Jérusalem (Flammarion, 2009).

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