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Avec le télétravail, les retraités aisés, les professions libérales et les cadres colonisent les territoires du littoral

Avec le télétravail, les retraités aisés, les professions libérales et les cadres colonisent les territoires du littoral

Le rêve de la maison avec jardin, décuplé par le Covid et le télétravail, bénéficie principalement aux territoires baignés par la mer et le soleil.

On savait que le Covid, conjugué au télétravail, avait amplifié un phénomène d’exode urbain dans les classes aisées déjà palpable avant la crise sanitaire. La revanche des villes moyennes, voire de la campagne était sur toutes les lèvres. Mais quatre ans après, qu’en est-il réellement ?

Les cartes du géographe Sylvain Manternach parlent mieux qu’un long discours. Elles se basent sur les données démographiques de l’Insee et livrent un verdict qui tranche avec les prédictions d’un retour à la nature. En tout cas, ce n’est pas celle que l’on envisageait, ni le Perche, ni la Creuse.

Les territoires qui ont le plus profité de la migration, ou de la transhumance, selon que l’on s’installe définitivement ou périodiquement, sont tous situés au bord de la mer. En particulier, là où le soleil brille, donc plus le Morbihan, la Vendée et le littoral aquitain que la Manche.

« L’art de vivre a gagné sur l’art de produire »

Doit-on en conclure que, pour ceux qui ont les moyens, « vivre et travailler au pays des vacances » est devenu le nouvel Eldorado ? C’est en tout cas le leitmotiv du maire de La Baule, qui en connaît un rayon en matière de communication – il fut le conseiller de Nicolas Sarkozy.

Dans son analyse pour l’Ifop des cartes de Sylvain Manternach, le sondeur Jérôme Fourquet rappelle les propos tenus par Franck Louvrier dans Le Point : « Le travailler plus pour gagner plus qui nous a permis de gagner avec Nicolas Sarkozy n’est plus dans l’air du temps. Maintenant, il s’agit de travailler moins pour vivre mieux. »

« Naturellement, les gens vont là où ils ont l’habitude d’aller. Ce qui explique ce phénomène de littoralisation incontestable », note le sociologue Jean Viard. Mais il pondère aussi : « La question est : y a-t-il des personnes qui vont à d’autres endroits ? Et la réponse est oui. Prenez Reims, par exemple. C’est à 40 minutes de Paris en TGV, il y a de bons lycées, et on peut avoir une maison avec jardin pour moins cher qu’un 50 m2 dans la capitale. C’est une très belle vie qui correspond à une élite sociale sensible à l’image des lieux. Paris a perdu 70.000 habitants ; sur deux millions, ce n’est pas beaucoup. Mais avant, les gens montaient à Paris. Maintenant, on en sort. L’inversion du mouvement est incontestable même s’il n’est pas considérable. L’art de vivre a gagné sur l’art de produire. »

Une bonne partie des grandes villes universitaires, TGV ou pas, gagne de la population dans leurs abords, confirme l’étude de l’Ifop. C’est le cas autour de Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Orléans, Tours, Poitiers, Clermont-Ferrand mais aussi Lyon, Reims, donc, Metz ou Strasbourg.

Pas de désert médical dans le golfe du Morbihan

« La localisation à l’intérieur de la grande ville n’apparaît plus comme une nécessité, pose Jean Viard. Le Gilet jaune s’est installé dans le péri-urbain ou dans les petites communes à un trajet de voiture. Le télétravailleur bobo, qui a une culture de la résidence secondaire, va dans des lieux à forte image de marque. Il définit sa migration par rapport à un choix positif.  »

Par conséquent, le télétravail n’est-il pas en train de creuser encore et inexorablement les inégalités territoriales ? « La carte de la densité des médecins généralistes correspond assez bien à l’opposition entre le “croissant fertile” des zones touristiques et balnéaires et les grands confins de l’espace central et francilien. On ne parle guère de déserts médicaux dans le golfe du Morbihan ou sur la Côte d’Azur », décrit Jérôme Fourquet.

Jean Viard a une autre lecture : « Aujourd’hui, personne ne veut habiter dans les grandes plaines. Toutes les grandes zones agricoles sont en voie de dépeuplement. C’est normal, on y met d’immenses champs, d’énormes engins agricoles, il n’y a rien d’autre. Pourquoi un médecin viendrait vivre dans un endroit où personne ne veut habiter ? »

«La question qui se pose est plutôt : y a-t-il dépeuplement dans des zones qui ne sont pas d’immenses cultures, le cœur de la Bretagne, du Massif central, ce qu’on appelle la “diagonale du vide” ? Eh bien, pas forcément. Regardez Clermont-Ferrand. C’est une ville dont les gens ne partent pas. Elle est très bien construite, très agréable. En revanche Thiers, à proximité, ou Montluçon, ces villes du deuil industriel perdent des habitants. Sur un même territoire, on a des situations tout à fait opposées. Et c’est vrai partout en France. Donc, il faut être prudent, faire très attention, se garder des généralités. »

« On veut un arbre,  on veut un chien »

Pour le sociologue, plutôt que « ce discours idiot de l’égalité territoriale, il faut faire en sorte que la population se diffuse autour des métropoles le long des voies de chemin de fer. Au fond, le rêve des gens, c’est d’avoir une maison avec jardin ou sinon un potager : on veut un arbre, on veut un chien, on veut des puces… et aller à la ville régulièrement, les uns pour travailler, les autres pour aller au théâtre, pour faire des courses. Sans prendre la voiture à tout bout de champ compte tenu de l’état de notre planète et du prix de l’essence. Le mouvement de fond, c’est que la ville devient le lieu de la jeunesse, du tourisme, de la rencontre amoureuse et du business. L’idée d’habiter en ville n’est aujourd’hui une nécessité que dans les élites sociales qui peuvent jongler avec deux logements, un appartement à Paris et une maison au Touquet par exemple. »

« Une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus », par Jean Viard. Éditions de l’Aube. 128 pages, 14 euros.

« Croissant fertile : les enseignants aussi»

Dans son analyse pour l’Ifop, Jérôme Fourquet pointe l’émergence d’une zone en croissance démographique qu’il nomme « le croissant fertile ». Il court « de Saint-Malo jusqu’au littoral aquitain et basque en passant par Rennes, Nantes, la Rochelle et Bordeaux, puis oblique vers Toulouse et Montpellier avant de remonter la vallée du Rhône et de longer la frontière Suisse ».

Si cette bande attire des retraités aisés, des professions libérales et des cadres télétravailleurs, elle séduit aussi les enseignants, met-il en évidence. Le nombre de points nécessaires pour obtenir un poste dans le premier degré en témoigne. Les départements les plus prisés se trouvent tous dans ce « croissant fertile » : Morbihan (1.163 points), Pyrénées-Atlantiques (821), Savoie (819), Vendée (796), Charente-Maritime (779), Ille-et-Vilaine (767), Landes (757).

A contrario, le quart nord-est et le centre de la France sont les moins cotés : Ardennes (39 points), Cher (30), Yonne (24), l’Allier, l’Aisne, l’Oise et la Meurthe-et-Moselle fermant la marche avec 22 points.

(Source : ministère de l’Éducation nationale)

Nathalie Van Praagh

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