World News in French

"Je pense que plus de mixité ferait le plus grand bien" : les métiers ont-ils un sexe ?

« Je travaille dans un milieu d’hommes, à mon grand désespoir : l’automobile. À titre personnel, je pense que plus de mixité ferait le plus grand bien dans nos ateliers et une répartition moins stéréotypée : les hommes dans l’atelier et les femmes à l’accueil. Néanmoins, je note une féminisation des postes à responsabilités dans l’automobile. C’est une très bonne nouvelle ! »

Benjamin Labonne codirige la carrosserie éponyme dans le Puy-de-Dôme et dans l’Allier. Il est aussi très engagé sur le sujet de la mixité des métiers et accueille actuellement à l’atelier d’Aubière, Chloé, en apprentissage CAP Carrosserie peinture, « seulement la quatrième en quinze ans ! Il n’est pas normal que nos filles ne se sentent pas capables de faire certains métiers ou s’interdisent certaines matières à l’école. De même que certains hommes n’osent pas s’orienter vers des métiers très féminisés ».

Chloé, en apprentissage CAP Carrosserie peinture, à la carrosserie Labonne à Aubière. Photo Franck Boileau

En fait, en France, seulement une personne sur cinq exerce un métier « mixte ». C’est-à-dire une profession où la part des hommes ou des femmes se situe entre 40 et 60 % de l’effectif. Ce qui est le cas dans seulement 17 % des métiers.

En Auvergne-Rhône-Alpes, en 2019, selon l’Insee, 23 métiers sont à dominance féminine, 43 à dominance masculine et 21 métiers sont mixtes.  Alors que, dans le même temps, toujours selon l’Insee, les femmes représentent désormais 48 % de l’emploi dans la région (+ 3,5 points depuis 1999), part identique au niveau national. Presque la parité.

Les métiers restent très genrés

Les métiers restent donc très fortement genrés. Pour preuve, l’indice de ségrégation des métiers était de 56 à la fin des années 1980, ce qui veut dire qu’il aurait fallu que 56 % des femmes changent de profession pour que femmes et hommes soient répartis à parité. Il a progressivement diminué jusqu’à... 52 % en 2011, dernière année de publication par le ministère du Travail.

Sur les 88 grands types de métiers que répertorie ce ministère, on comptait 16 métiers mixtes en 1982-1984. Et seulement cinq de plus trente-cinq ans plus tard. Et même, certains étaient mixtes dans les années 1980, mais on y trouve moins de 35 % d’hommes aujourd’hui : enseignants, professions paramédicales, techniciens et professions intermédiaires, administratifs ou de la banque. Au niveau très général des grandes catégories socioprofessionnelles, les artisans, commerçants et chefs d’entreprise sont trois fois plus souvent des hommes que des femmes, selon l’Insee en 2020. Chez les cadres, en Auvergne-Rhône-Alpes, on ne compte que 35 % de femmes (contre 38 % au national - Apec 2024). Dans les métiers d’exécution, les emplois d’ouvriers sont exercés à 80 % par des hommes et ceux d’employés à 75 % par des femmes.

Quels sont les métiers dits « féminins » ?

On ne trouve que 2 % d’hommes parmi les assistantes maternelles (1,1% dans le Puy-de-Dôme, lire par ailleurs), 4 % parmi les secrétaires, 5 % au sein des aides à domicile ou 9 % chez les aides-soignants. L’entrée d’hommes dans des métiers féminisés est marginale : seuls deux métiers essentiellement féminins en 1982-1984 se sont ouverts aux hommes : les employés de l’informatique (où les femmes sont passées de 85 % à 40 % des effectifs) et les ouvriers non qualifiés du textile (de 81 % de femmes à 64 %), un métier dont l’effectif a considérablement diminué.

Quels sont les métiers dits « masculins » ?

Les métiers les plus masculinisés sont les ouvriers du bâtiment (1 à 7 % de femmes), les conducteurs de véhicules (9 % de femmes) et les techniciens et agents de maîtrise et de maintenance (11 %). Selon l’Insee, les femmes ont fait leur entrée dans neuf métiers masculinisés. Les dix métiers qui ont connu la plus forte féminisation sont des emplois de cadres ou de techniciens qualifiés. En Auvergne-Rhône-Alpes, en vingt ans, la part des femmes progresse pour sept métiers sur dix. De manière générale, ceux qui se féminisent le plus sont souvent parmi les plus qualifiés.

D’où cela vient-il ?

De normes sociales et de stéréotypes profondément ancrés. Historiquement, certaines professions étaient réservées aux hommes ou aux femmes en fonction de leur rôle dans la société. Également, selon l’Observatoire des inégalités, l’entrée dans un métier est préparée par des choix d’orientation scolaire en partie déterminés par le sexe. La mixité dans chaque filière de l’enseignement professionnel ou supérieur est loin d’être réalisée. Les filles en bac professionnel sont rarissimes dans les filières industrielles. Les écoles d’ingénieurs restent un bastion masculin. À l’inverse, les garçons choisissent rarement les CAP-BEP tertiaires, les formations de la santé et du social ou les filières littéraires au lycée et à l’université. Les mécaniciennes ne sont pas prises au sérieux et les hommes professionnels du soin ne sont pas respectés.

Creuset d’inégalités

Selon l’Insee, cette séparation en « métiers d’hommes » et « métiers de femmes » contribue à alimenter les inégalités, les métiers féminisés étant souvent marqués par la précarité, le temps partiel subi et les bas salaires. En 2021, le revenu salarial moyen des femmes dans le secteur privé est inférieur de 24 % à celui des hommes. Cela reflète en partie des différences de volume de travail annuel, car les femmes sont moins souvent en emploi au cours de l’année et davantage à temps partiel.

Une perte de richesse

Selon Melinda Gates, dans un article de The Economist : « Des décennies de recherche ont montré que lorsque les femmes peuvent participer pleinement à l’économie, cela accroît la stabilité financière des ménages, et renforce la résilience d’un pays. Eurasia group indique que si les décideurs politiques donnaient la priorité aux investissements décidés par des femmes, l’économie mondiale pourrait croître de 7 % supplémentaires d’ici à 2030. »

Les métiers en tension ont besoin de plus de mixité

Dans les métiers en tension, attirer des profils est une nécessité. Qu’ils soient masculins pour les métiers féminins ou l’inverse. Dans l’industrie par exemple, « Elles bougent », l’association parrainée par six ministères, vise à susciter des vocations auprès des jeunes filles dans les métiers des secteurs industriels, technologiques et scientifiques.

Dans le bâtiment, le centre de formation des apprentis du bâtiment de Clermont-Ferrand a répondu à un appel à projets pour développer des actions à destination des femmes éloignées de l’emploi : de la présentation des métiers jusqu’à des journées de stages sur les plateaux techniques en passant par la déconstruction des stéréotypes.

Quant aux hommes minoritaires dans des métiers dits féminins, l’aide à domicile par exemple, les préjugés sont également difficiles à faire tomber. Mais ensuite, c’est « l’escalator de verre », pendant masculin du « plafond de verre » inventé par la sociologue américaine Christine Williams dans les années 1990. Il montre que les hommes actifs dans des mondes de femmes bénéficient d’une série d’avantages invisibles qui peuvent les propulser à des fonctions supérieures en raison de leur sexe. On leur prête plus facilement des stéréotypes favorables à leur ascension professionnelle. Mixité professionnelle, le rêve fou ?

17 %

Seulement 17 % des métiers sont mixtes, c’est-à-dire entre 40 et 60 % d’hommes ou de femmes. En Auvergne-Rhône-Alpes, sur la nomenclature des 87 métiers, 23 métiers sont à dominance féminine, 43 à dominance masculine et 21 métiers sont mixtes.

98,1 %

Le métier le plus féminisé dans le Puy-de-Dôme est celui d’assistantes maternelles avec seulement 1,1 % d’hommes. Le moins féminisé est ouvrier qualifié du gros œuvre bâtiment avec 97,3 % d’hommes.

12

En Auvergne-Rhône-Alpes, dans la nomenclature des 87 métiers, la concentration d’emploi est bien plus marquée pour les femmes. En effet, 50 % travaillent dans seulement 12 métiers, alors que la moitié des hommes travaille dans 20 métiers.

Dans le département, parmi les 87 familles professionnelles qui décrivent l’ensemble des métiers, celles le plus souvent occupées par les femmes sont « agents d’entretien » (6,8 % des femmes en emploi), « enseignants » (5,6 %) et « aides soignants » (5,2 %), tandis que les hommes sont plus souvent « conducteurs de véhicules » (5 %), « ouvriers qualifiés du second œuvre du bâtiment » (3,7 %) ou « agriculteurs » (3,3 %).

Ce sujet a été initialement traité dans la newsletter La Montagne Entreprendre (cliquez ici) qui paraît chaque mardi matin. Elle est gratuite et sur abonnement en suivant ce lien : bit.ly/2YFkgzx

Cécile BergougnouxPhotos Stéphanie Para et Franck Boileau

Читайте на 123ru.net