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“Challengers” : un “Jules et Jim” du capitalisme sportif qui nous a épuisés

Le nouveau film de Luca Guadagnino, avec Zendaya et Josh O’Connor, se distingue par sa vulgarité et sa boulimie formelle.

On ne saurait retirer à Luca Guadagnino le crédit de la prise de risque et de l’extrême versatilité du style, lui qui aurait pu, après le triomphe (relatif – le film n’a pas véritablement explosé ni au box-office ni en récompenses, mais il a fortement impacté l’imaginaire collectif et révélé une superstar) de Call Me By Your Name, se sédentariser dans le mélodrame impressionniste, l’orfèvrerie des sentiments et des reconstitutions nostalgiques de bon goût. Pourtant, l’Italien s’est depuis essayé au remake horrifique (Suspiria), au road movie de marges white trash (Bones and All), avec certes une sincérité discutable et une tendance paradoxale à lisser les échardes qu’il était pourtant parti cueillir, mais néanmoins un goût certain de l’inconnu.

Le voilà avec ce nouveau film dans un répertoire encore plus inattendu pour lui, à savoir une mixture de thriller érotique très aguicheur et de film de sport aux forts accents fincheriens, soulignés par la contribution bulldozer, presque auto-parodique, du tandem Trent Reznor-Atticus Ross, qui livre une sorte de caricature de la partition electro-lounge de The Social Network. Challengers est centré sur un triangle amoureux formé par trois étoiles du tennis pro, d’abord montantes, bientôt presque toutes déchues : Patrick et Art, inséparables amis du centre de formation, et Tashi, star avant eux, qu’ils rencontrent à l’US Open, courtisent, et dont ils vont faire leur amie, leur amante et leur rivale – tout à la fois. La narration butine aux quatre coins de la chronologie, entre une éphémère complicité à trois, un premier couple laissant un malheureux éconduit, une rupture qui échange les rôles, une blessure grave qui stoppe une carrière, et des retrouvailles tardives dans un petit tournoi de seconde zone, alors que la bonne étoile de la célébrité et de l’argent a cruellement favorisé les uns mais pas les autres. 

Artillerie délirante d’effets

Le film nous laisse totalement lessivés, avec l’impression de sortir à la fois de deux heures de publicités sexualisantes doublées d’une de ces séances d’entraînement cardio à haute intensité dans des clubs pour cadres sup. C’est d’autant plus troublant que ses partis pris formels éprouvants, particulièrement dans les scènes de tennis où Guadagnino déploie une artillerie délirante d’effets (y compris des plans du point de vue de la balle que n’aurait pas renié le Gaspar Noé de la pire époque), mais même dans certaines scènes de simples dialogues, viennent étrangement se mettre au “service” (pardon) d’une trame amoureuse d’une remarquable subtilité. Le pacte amoureux kaléidoscopique reliant les trois pôles du film ne cesse de se renverser dans des configurations très agiles, écrivant la violence des sentiments à la surface des jeux de domination du court, captant impeccablement les forces irrépressibles du désir (bien aidé par la perfection des corps – le film est de ce point de vue extatique) et les contradictions fermes qu’elles opposent aux constructions factices des destins. 

Il y avait un beau, peut-être même un grand film à faire, mais c’est comme si ce Jules et Jim du capitalisme sportif avait été sacrifié sur l’autel d’une vulgarité et d’une boulimie formelle qui, si elles peuvent se justifier par son sujet, n’en sont néanmoins pas passées loin de le rendre irregardable. 

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