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“Le Temps du voyage” de Henri-François Imbert : un beau documentaire chez les Tsiganes

Qui sont les gens du voyage aujourd'hui ? Un film salutaire et politique, qui dresse un état des lieux chaleureux.

Depuis 2017, le “livret de circulation”, qui était une sorte de carte d’identité sans en être une des gens du voyage (Tsiganes, Gitans, Manouches, etc. peu importe leur nom – tous descendent d’un peuple de l’Inde du nord qui a migré au 15ème siècle pour une raison inconnue) a été supprimé en France. Ce livret, dont l’existence était dénoncée par toutes les grands instance internationales, obligeait les nomades à ne pas quitter le pays, les empêchait de pouvoir voter à moins d’être inscrits dans une commune de rattachement, d’avoir droit à des aides sociales. Jusqu’en 2017.

En même temps que les “voyageurs” (comme ils s’appellent eux-mêmes) acceptaient de se sédentariser progressivement, d’envoyer leurs enfants à l’école laïque et obligatoire, les communes avaient (et ont toujours) tendance à les rejeter, les considérant comme des “envahisseurs” (comme le dit l’un des intervenants du film). Une injonction contradictoire difficile à vivre au quotidien. Les vieux clichés racistes (le mythe du voleur de poules ou d’une supposée fainéantise) ont la vie dure, ce dont témoignent les Tsiganes.

Dans Le Temps du voyage, Henri-François Imbert, cinéaste à la voix douce et chef-opérateur au cadre très rigoureux, dont nous avons toujours suivi le travail (Sur la plage de Belfast, et surtout No pasaránalbum souvenir, chef-d’oeuvre, magnifique film retraçant, à travers les cartes postales d’époque, la “Retirada”, soit l’arrivée des Républicains espagnols en France après leur défaite contre les armées de Franco, et leur parcage dans des camps d’internement des Pyrénées-Orientales), lui-même natif de Narbonne, décrit au plus près l’évolution des gitans, décrit les injustices dont ils ont été victimes, montre aussi leur attachement à la famille, à la musique, et surtout leur envie d’être reconnus comme des gens qui travaillent.

Génocide

Le film commence par un récit : dès 1940, le gouvernement de Vichy interne tous les nomades de France, des Français, donc, dans des camps situés dans l’Hexagone (en dehors d’une star comme Django Reinhardt, qui finira malgré tout par fuir le pays). Soit 6 500 personnes, dont une partie sera tuée dans ces camps d’extermination nazis (les historiens estiment aujourd’hui qu’au moins 500 000 Tsiganes ont été tués par le régime hitlérien en Europe). Mais le récit ne s’arrête pas là. Après la Libération, certains d’entre eux ne seront libérés qu’en décembre 1945, soit bien après la fin de la Guerre et la paix du 8 mai de la même année. Preuve s’il en est que ces nomades français ont toujours posé un problème à l’État français.

Henri-François Imbert rencontre des représentants de cette communauté disparate, notamment Alain, à Agde, animateur de formation, qui monte des spectacles sur les gitans, qui agit pour que tout le monde agisse chez les Tsiganes, dont les enfants sont devenus musiciens, qui s’émerveille que les traditions (le flamenco !) perdurent. Qui organise aussi des rencontres et des manifestations avec les Juifs, notamment au Mémorial de la Shoah, à Paris. Il refuse qu’on le considère comme un “feignant” et, quand il reçoit une médaille, son visage est tout illuminé de joie et de fierté.

Imbert, qui n’est pas tsigane, réalise un film militant, sans cacher certaines aspérités : à un moment, un jeune homme gitan explique que s’il a quitté l’école en sixième, c’est parce que les Gitans sont “suivistes”, qu’ils font ce que font les autres, et qu’il le paye aujourd’hui en ayant du mal à trouver un travail parce qu’il n’a aucun diplôme. Un vrai problème. Pas d’angélisme dans Le Temps du voyage. Sans être montrée, l’existence de la délinquance dans certains quartiers est évoquée. Même si le film d’Imbert ouvre de nombreuses portes d’espoir, comme dans cette scène où deux enfants racontent combien le fait d’être gitan est valorisante auprès des autres élèves dans certaines cours d’école de la République. Les temps changent, et c’est tant mieux.

Le Temps du voyage, de Henri-François Imbert, 1h26, en salle le 24 avril

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