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Le Paris de la Belle Epoque n’avait rien à envier au Paris des Jeux de 2024 (de loin)

Les Jeux peuvent-ils rendre à Paris sa superbe ? se lamente notre chroniqueur...

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Les Jeux peuvent-ils rendre à Paris sa superbe ? se lamente notre chroniqueur


Luxueux et raffiné. Tel est le Train Bleu, émérite et centenaire brasserie située juste au-dessus des quais de la gare de Lyon, construite pour l’Exposition Universelle de 1900 par l’architecte Marius Toudoire. En pénétrant dans cette auguste institution gourmande, on imagine sans peine le futur Edouard VII y dîner, accompagné de sa sublime maîtresse Sarah Bernhardt, impératrice de cœur qui faisait oublier au prince les pesanteurs de la société victorienne de l’autre côté de la Manche…

Benoît Duteurtre n’a pas manqué de l’évoquer dans son Dictionnaire Amoureux de la Belle Epoque et des Années Folles : « On ne soulignera jamais trop le rôle du prince de Galles, fils aîné de la reine Victoria, dans le rapprochement franco-britannique à l’aube du XXe siècle. On ne saurait même comprendre cet événement politique majeur sans insister sur le rôle essentiel qu’y jouèrent les petites femmes, la passion du théâtre, l’amour du divertissement et des plaisirs de la vie qui poussaient irrésistiblement vers Paris le futur souverain britannique. » Les Anglais de la fin du XIXème siècle nourrissaient à l’égard de la France des fantasmes comparables à ceux qu’entretiendraient plus tard les petits Français des années 1960 désireux de découvrir le « swinging London ». 

Un héritage précieux

Le Paris de la Belle Epoque était un Paris de fêtes, peuplé d’artistes, de femmes portant des bijoux de contes de fées et de bourgeois sortis des pages de Maurice Leblanc. Gare d’ailleurs à ne pas y croiser un Arsène Lupin à fine moustache, maitrisant la canne-épée aussi bien que le sarcasme, prêt à vous détrousser de vos sous avant de séduire votre compagne du soir pour la faire danser dans tous les cabarets de Montmartre. Paris était alors une ville excitante où tout était possible. Le centre d’un Empire qui s’étendait sur les cinq continents. Le centre des innovations technologiques. Le centre des poètes et des artistes. Le centre du monde, tout simplement. Non seulement dans les esprits des Français, qui avaient bien conscience de la supériorité de leurs mœurs et de l’excellence de leur culture, mais aussi et surtout dans les imaginations enfiévrées de nos voisins qui rêvaient tous de toucher du doigt à l’idéal parisien. Et comment leur en vouloir ? Qui n’a jamais rêvé de flâner dans les grandes artères parisiennes pour en admirer les élégantes qui sous leurs ombrelles dévoilaient un peu de leurs charmes voluptueux ?

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Stefan Zweig le confessera d’ailleurs quelques années plus tard : « Nulle part, on ne sentait, par tous ses sens éveillés, une identité aussi forte entre sa jeunesse et l’atmosphère que dans cette ville qui se donne à tous et dont aucun ne peut faire complètement le tour. »  Parenthèse entre la Grande Dépression et la Première Guerre mondiale, ce qu’on nommera plus tard la Belle Epoque fut un temps de progrès technique et d’expérimentations artistiques. La Belle Epoque a enfanté la modernité telle que nous la connaissons aujourd’hui. Apparaissent les technologies de  notre quotidien qui passent des ateliers de recherche théorique des savants à l’usage courant. L’Europe est alors touchée par une vague d’innovations spectaculaires qui s’accomplissent le plus singulièrement en France, pays de toutes les avant-gardes. Charles Péguy le résuma laconiquement : « Le monde a plus changé entre 1880 et 1914 que depuis les Romains ». Tout concourt d’ailleurs à cet optimisme dont nous ferons le deuil en 1914 : l’Etat présente un budget excédentaire, le franc-or est particulièrement stable et la croissance est importante tous les ans.

Nous vivons encore des dividendes accumulés à la Belle Epoque, période où des noms désormais ancrés dans les inconscients collectifs émergent pour ne plus jamais s’effacer. Qu’ils soient artistes, scientifiques ou industriels, leur legs est toujours vif. Citons dans le désordre ces figures majeures que sont toujours Louis Pasteur, Rodin, André Citroën, Gustave Eiffel ou encore Louis Lumière. Leurs inventions et leurs œuvres nous accompagnent toujours au quotidien. De grandes figures populaires naissent dans tous les domaines et se font connaître à travers une médiatisation accrue. C’est l’âge d’or de la presse avec une liberté d’expression et une diversité idéologique qui pourraient aujourd’hui nous sembler surréalistes.

Car, la Belle Epoque est aussi et avant tout le moment d’une révolution dans les moyens de communication qu’on ne saurait comparer qu’avec l’émergence d’internet. Tant dans les moyens techniques que dans les modes d’expression. Le télégraphe, la transmission sans fil, le téléphone ou l’aéropostale, offrent aux Français la possibilité de se tenir au courant des affaires du monde de manière bien plus rapide que ce à quoi ils étaient auparavant habitués. Par ailleurs, les journaux paraissent dans des quantités jamais vues auparavant avec la création des fameuses « rotatives ». Certains des journaux que nous trouvons encore dans les kiosques sortent pour la première fois, à l’image de L’Humanité dirigé un temps par Jean Jaurès ou de La Croix. Si les inégalités sociales persistent, laissant le champ libre à la reconnaissance dans le débat public de la dialectique marxiste, le progrès technique bénéficie alors à de nombreux Parisiens et Français qui regardent avec optimisme le futur.

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Cela se matérialise par la généralisation des loisirs, des fêtes, la démocratisation de la pratique sportive, ainsi que la construction de  nombreuses villes de villégiature, à la mer comme à la montagne. Le Parisien de la Belle Epoque pratique la boxe française, ne se déparant jamais de sa canne-épée, se délasse au théâtre, fréquente les brasseries, suit assidûment les feuilletons littéraires populaires dans la presse et s’emporte sur les questions politiques au café. Privilégié, il assiste aux représentations de Debussy et se presse pour découvrir les différents courants artistiques émergents.

Paris, capitale mondiale des avant-gardes techniques, culturelles et artistiques

Une vue de l’esprit fait passer Vienne pour le siège des avant-gardes de l’époque. Dans Vienne, fin de siècle, Carl Schorske estime que la capitale austro-hongroise fut le siège de la modernité, citant dans un même élan Klimt, Freud ou le musicien Schoenberg. Paris fut pourtant tout autant en pointe, et parfois même en avance. Le baptême du symbolisme littéraire date de 1886, année où Jean Moréas publia son manifeste dans Le Figaro. Le naturalisme français n’avait pas un monopole ! Les auteurs de la Jeune Vienne confessaient eux-mêmes leur admiration pour les poètes parisiens révoltés qu’étaient Rimbaud, Verlaine ou Mallarmé.

Dans le domaine de la peinture et des arts décoratifs, le même constat peut être fait. Tous les styles ayant défié le classicisme sont nés à Paris, pas à Londres ou à Vienne. Pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs ! Mais qui contestera aujourd’hui que l’impressionnisme, le nabisme, le symbolisme, le fauvisme, le cubisme, et même le futurisme attribué à tort à l’Italie, ont eu leurs premières œuvres exposées à Paris, alors phare du monde ? Dès 1870, le Salon officiel est contesté, les artistes s’organisant indépendamment en constituant des réseaux de galeristes privés, s’entraidant et se soutenant mutuellement.

Il n’est pas innocent que Freud soit allé à Paris pour étudier auprès du professeur Charcot, son œuvre multipliant les références à des écrivains et penseurs français qui furent les premiers à s’intéresser aux zones d’ombre de l’esprit humain. Madame Bovary n’en est-il pas l’un des exemples les plus frappants ? Quant à Bergson et Taine, n’ont-ils pas été en avance de quelques années sur leurs homologues germanophones ? La France est injuste avec les siens, refusant de leur reconnaître la primauté qu’ils ont eus dans tous les champs de connaissance et toutes les expressions créatives. Le Paris de la Belle Epoque n’avait rien à envier à aucune autre ville, il attirait à lui l’âme d’un monde qui finirait malheureusement fracassée dans un déluge d’artillerie sur les plaines de la Marne.

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Dans Le Monde d’Hier, un Stefan Zweig nostalgique consacre un chapitre entier à Paris, ville de l’éternelle jeunesse, et écrit donc : « Nulle part, on ne sentait, par tous ses sens éveillés, une identité aussi forte entre sa jeunesse et l’atmosphère que dans cette ville qui se donne à tous et dont aucun ne peut faire complètement le tour. Je sais bien qu’il n’est plus ce Paris heureux de ma jeunesse, ce Paris qui vous communiquait l’allant dont il était rempli ; peut-être qu’il ne retrouvera plus jamais cette merveilleuse liberté depuis qu’une poigne de fer, la plus tyrannique qui soit sur la terre, lui a imprimé sa marque brûlante ».

Quarante années de gloire

Il serait vain de porter un regard trop nostalgique sur une époque révolue qui ne fut d’ailleurs pas parfaite. Le progrès technique apporta aussi son lot de difficultés et de malheur. On l’oublie d’ailleurs, mais Paris était aussi une capitale du crime, ce qu’une relecture des Brigades du Tigre comme des journaux d’alors relatant les aventures des Apaches tatoués des faubourgs suffira à rappeler. Néanmoins, la brillance de ces années ne fait aucun doute. Elles sont encore un point de référence. Plus lointain que les Trente Glorieuses mais sûrement plus déterminant.

Le chaos de la Première Guerre mondiale aura raison de la domination française sur le monde. La France et l’Europe ne se remettront jamais pleinement de la période des deux guerres mondiales. Nous bénéficions pourtant toujours des infrastructures, des inventions et des richesses accumulées à la Belle Epoque. Il est de bon ton désormais de réprouver nos aînés, de contester la démarche coloniale de Jules Ferry qui fit flotter le drapeau français sur tous les continents, reste la gloire d’un prestige inouï correspondant à une période de développement inédite dans l’histoire de l’humanité. Ce progrès vertigineux que la France a offert au monde est incontestable. Une balade dans Paris,  nous amenant du Trocadéro aux Galeries Lafayette en passant par le Musée d’Orsay, réveille immanquablement les fantômes tutélaires de ces grands anciens dont les réalisations nous obligent a minima à faire preuve d’humilité. « L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe », disait Gustave Flaubert. 

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