"Votes illégaux": les migrants au coeur d'une campagne de désinformation aux Etats-Unis
Avec la perspective d'un scrutin serré, les réseaux sociaux sont inondés de rumeurs visant les personnes traversant illégalement la frontière avec les Etats-Unis, un thème central de la campagne des républicains face au démocrate Joe Biden.
Les personnes n'ayant pas la nationalité américaine n'ont pas le droit de voter aux élections fédérales, comme la présidentielle de novembre. Mais l'ancien président Donald Trump continue d'affirmer sans preuve sur son réseau Truth Social que le Parti démocrate incite les migrants à entrer illégalement afin de les faire voter pour Joe Biden.
Le patron de X Elon Musk a lui aussi répandu cette rumeur, tout comme l'élue très trumpiste Marjorie Taylor Greene, qui assène que les démocrates vont ainsi "voler l'élection avec des votes illégaux".
"Cela explique le large nombre d'inscriptions par numéro de sécurité sociale dans certains Etats clé, les migrants peuvent l'obtenir sans avoir la citoyenneté", a-t-elle avancé sur X. "C'est pour cela que Biden veut ouvrir la frontière".
Une étude de l'institut d'analyses politiques indépendant Brennan Center estime que des votes soupçonnés, sans preuve, de provenir de non-citoyens représentaient 0,0001% des voix comptabilisées lors de l'élection présidentielle de 2016.
Les Etats-Unis comptent quelque 161 millions d'électeurs sur une population d'environ 336 millions d'habitants. Les autorités estiment à 11,4 millions le nombre d'immigrants illégaux et à 12,9 millions les résidents étrangers permanents légaux dans le pays.
"Capitaliser sur la peur"
Donald Trump et le Parti républicain insistent: ils veulent une loi supplémentaire visant à s'assurer encore davantage de l'impossibilité pour les non-citoyens de déposer un bulletin dans l'urne.
"Nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre qu'une fraude massive se produise", a clamé Mike Johnson, le chef républicain de la Chambre des représentants.
La recrudescence de fausses informations concernant le droit de vote aux Etats-Unis coïncide avec les passages illégaux record à la frontière avec le Mexique ces dernières années.
"Le changement le plus notable, c'est l'intensité de la crise à la frontière et la manière dont elle est exploitée pour alimenter ces rumeurs", explique Mert Bayar, spécialiste des théories du complot à l'Université de Washington.
Et nombreux politiques "capitalisent sur l'angoisse et la peur" d'une partie de l'électorat, abonde Ethan Porter, professeur de médias et affaires publiques à l'Université de George Washington.
"Mobiliser les électeurs n'est pas facile. Ces peurs leur facilitent la tâche", fait-il remarquer.
Ces mêmes théories infondées existaient déjà lors de l'élection présidentielle de 2016, remportée sur le fil par Donald Trump face à Hillary Clinton. L'ex-président avait pourtant accusé sa rivale d'alors d'avoir bénéficié de votes de migrants illégaux.
Mais aujourd'hui, le dispositif de désinformation est encore plus "sophistiqué" qu'auparavant, selon Emerson Brooking, expert en désinformation au centre de réflexion Atlantic Council.
"Qu'un début"
Selon plusieurs analystes, ces rumeurs autour de l'immigration illégale servent d'amorce aux futures accusations de fraude qui ne devraient pas manquer de revenir durant l'élection, Donald Trump n'ayant jamais reconnu sa défaite de 2020 face à Joe Biden.
Selon le professeur Ethan Porter, cette stratégie répond à une équation qui se veut à tous les coups gagnante pour les républicains: "soit +mon camp gagne l'élection malgré les votes illégaux+, soit +mon camp perd à cause de ces mêmes votes illégaux+".
Un pari risqué, estime Mert Bayar. "Ces théories conspirationnistes et rumeurs de fraude pourraient bien avoir l'effet de démobiliser les gens qui y croient parce qu'ils pourraient ne pas vouloir participer à un système dans lequel ils n'ont plus confiance", explique le spécialiste à l'AFP.
Pour Emerson Brooking, ces théories sont purement "opportunistes" et ceux qui veulent y croire les oublieront "du jour au lendemain" si Donald Trump l'emporte face à Joe Biden.
A six mois de la présidentielle, "nous ne sommes qu'au tout début de la vague de désinformation politique", prévient l'expert, qui s'attend à "un raz-de-marée" de fausses informations d'ici novembre.