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Smartphones, ordinateurs, télés... Nos e-déchets inondent la planète, au point de susciter la convoitise des mafias

Une image, d’abord, pour mieux visualiser l’ampleur du problème et donc de la menace. « Les 62 millions de tonnes de déchets électroniques générés en 2022 équivalent au poids de 107.000 avions de passagers les plus grands (853 sièges) et les plus lourds (575 tonnes) du monde », écrit l’ONU. De quoi « former une file ininterrompue de New York à Athènes » – rien que ça.

Smartphones, ordinateurs, tablettes, machines à laver, télévisions, grille-pain… Ces D3E (*) sont désormais partout ou presque dans notre vie quotidienne. Ramené à l’échelle individuelle, le record calculé par les Nations Unies suppose que « chaque personne sur Terre en génère annuellement 7,8 kg en moyenne ». Un chiffre qui grimpe même à « près de 18 kg » par Européen. Et ce n’est pas fini : ce volume mondial devrait continuer à grossir, pour atteindre la barre des 82 millions de tonnes d’ici à 2030.

"Obsolescence émotionnelle"

D’après Zéro Waste France, cette folle frénésie s’explique notamment par « l’obsolescence émotionnelle » qui frappe les produits numériques. « La pub incessante et les effets de mode éphémères incitent les consommateurs à acheter toujours plus, à changer sans cesse de modèles, même s’ils n’en ont pas réellement besoin », déplore Pauline Debradandere, coordinatrice de campagnes au sein de l'ONG de lutte contre le gaspillage des ressources.

L’inquiétude est d’autant plus vive qu’à l’autre bout de la chaîne, les filières de traitement et de valorisation sont totalement dépassées. À peine « 22 % de la masse des déchets électroniques ont été correctement collectés et recyclés en 2022 » dans le monde. Cette performance globale médiocre masque des disparités régionales très importantes : le taux atteint 40 % en Europe, mais ne dépasse pas 1 % en Afrique… Résultat ? Des « pollutions » sans cesse croissantes « de métaux lourds, de plastiques et de produits chimiques toxiques », pointe l’ONU.

Photo Stephanie Para

Règne du "tout jetable"

Expert en sobriété numérique et fondateur du site Green It, Frédéric Bordage partage ce constat alarmant. « La première difficulté persistante, dit-il, c’est que l’on collecte encore trop peu. Même dans un pays exemplaire comme la France, qui fait partie des meilleurs élèves, on est à moins de 65 %. Un tiers des déchets échappe donc toujours aux filières officielles. »

Et encore, les chiffres sont à prendre avec des pincettes : « Le taux de collecte est calculé au poids, ce qui donne une vision biaisée. Quand vous recyclez par exemple la structure en acier d’une machine à laver, cela représente une masse importante, qui “écrase” en quelque sorte les enjeux liés aux éléments les plus toxiques, comme les métaux lourds ou les terres rares, qui passent presque inaperçus dans les bilans. »

Une fois récupérés, dans des proportions très insuffisantes, les D3E sont en plus « très mal recyclés ». Frédéric Bordage avance deux explications principales : l’absence de « procédés économiquement rentables pour traiter les matériaux les plus dangereux » et les défauts persistants en matière d’écoconception.

« On n’a pas pensé à la fin de vie de ces équipements, à la façon dont ils peuvent être démontés facilement. C’est toujoursle règne du “tout jetable”. »

« Il reste d’énormes progrès à faire pour améliorer la durée de vie, la réparabilité et au final simplifier le recyclage », abonde Pauline Debradandere de Zéro Waste France.

Un marché jutueux qui attire les mafias

Les lacunes béantes dans la gestion des e-déchets ont inévitablement attisé les convoitises d’acteurs peu scrupuleux, appâtés par des bénéfices potentiels gigantesques. « 70 % des D3E mondiaux font l’objet d’un trafic géré par des organisations mafieuses, qui procèdent à des exportations illégales vers des pays pauvres et en tirent des milliards de revenus », relève Frédéric Bordage.

Une fois arrivés à destination, notamment au Ghana, les équipements sont “traités et recyclés” – entre guillemets – dans des conditions « atroces pour les travailleurs comme pour l’environnement ».

« Le process officiel et réglementaire pour récupérer de l’or, par exemple, requiert de l’acide chlorhydrique, du cyanure et des hauts fourneaux, poursuit le fondateur de Green It. Quand la même opération se fait sur des installations sauvages, sans contrôle ni protection, le résultat est tout simplement monstrueux. » Au point, ajoute le spécialiste, que « des taux de dioxines trente fois supérieurs à la limite autorisée par l’OMS » ont été relevés sur certains sites non classés. 

Stéphane Barnoin

(*) Pour déchets d’équipements électriques et électroniques.

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