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Sans le barrage de Naussac, les départements de l'Allier et du Puy-de-Dôme seraient à sec chaque été

Une pluie continue, des vagues poussées par les vents, de l’eau à perte de vue dans le brouillard lozérien. En ce jour de mai 2024, le lac artificiel de Naussac présente un visage humide mais rassurant pour toute une partie de la France.

De Clermont-Ferrand à Orléans, voire jusqu’à Nantes, le soulagement est même à la hauteur du taux de remplissage de la réserve : après des semaines pluvieuses, le voilà perché à un inespéré 94 %. Inespéré, car en février, après deux années extrêmement sèches, il s’élevait péniblement à 37 %, laissant craindre le pire cet été.

Si ce taux de remplissage est scruté de près du Puy-de-Dôme au Loiret, c’est que le barrage de Naussac, mis en service en 1983, a pour mission de garantir un débit minimum à la rivière Allier et, dans la continuité, au fleuve de la Loire. L’enjeu est stratégique, vital même, pour la survie biologique des cours d’eau mais surtout pour trois grands usages : le « soutien d’étiage », à savoir la restitution d’eau par le barrage en période de sécheresse, sert à la fois à l’alimentation en eau potable, à l’irrigation et aux besoins industriels (*), essentiellement pour le système de refroidissement des centrales nucléaires qui parsèment la Loire.

Presse-agrumes et production d'électricité

Pour l’heure, l’été est encore loin en Lozère. En ce printemps, l’eau est abondante. Elle ne coule toutefois pas de source dans la réserve de Naussac : si celle-ci a été créée à près de 1.000 mètres d’altitude sur le Donozau, le cours d’eau ne contribue qu’à hauteur de 10 % de son remplissage. L’eau du lac vient surtout d’une dérivation d’une partie des eaux du Chapeauroux (60 % des apports) et d’un pompage dans l’Allier (30 %).

Au coeur de l'usine de pompage du barrage de Naussac.

À travers une usine de pompage de 30 mètres de haut, surnommée « le presse-agrumes » par les habitants du territoire (voir photo), cette eau bascule de l’autre côté d’un barrage dit en enrochement, constitué de roche et de béton sur 240 mètres de long. La production hydroélectrique est ici accessoire (6,6 GWh de production annuelle)?; elle ne couvre même pas les besoins énergétiques du barrage.

Non, le rôle du barrage de Naussac est bien de soutenir le débit de l’Allier, quand celui-ci en a besoin. Et l’eau n’est pas lâchée sans précaution : « L’objectif est de respecter la qualité d’eau du milieu récepteur, en termes d’oxygénation et de température », explique Claude Confuron, chargé de suivi d’exploitation du barrage de Naussac pour son propriétaire, l’Établissement public Loire. Voilà pourquoi, grâce à une tour de prise d’eau de 60 mètres de haut, l’eau peut être prélevée à différents niveaux du lac si celle de surface est, par exemple, trop chaude.

Les effets du changement climatique

L’heure est pour l’instant au remplissage de la retenue, d’une capacité maximale de 185,2 millions de m3. « On profite des grosses pluies du printemps, moins de l’automne qui est une période de plus en plus sèche », raconte Claude Confuron. Car le barrage de Naussac doit composer avec le dérèglement climatique, qui se matérialise de plusieurs manières.

Grâce à une tour de prise d’eau de 60 mètres de haut, l’eau peut être prélevée à différents niveaux du lac si celle de surface est, par exemple, trop chaude.

D’abord, le remplissage : en 41 ans d’existence, à trois reprises le lac n’a pas réussi à faire le plein.

« Il y a eu les années sèches 1989/90/91 mais le barrage n’était pas muni de l’usine de pompage dans l’Allier, mise en service en 1997. Puis 2003/2005, mais il s’agissait d’une vidange complète. Et enfin il y a la période qui a débuté en 2021, avec une succession d’étés et d’hivers secs en 2022 et 2023. À l’automne 2023, on a ainsi connu le taux de remplissage le plus bas depuis 41 ans, hors vidange, à 21 %. »

Deuxième effet : les périodes de soutiens d’étiage sont à la fois plus précoces et plus longues. Elles ont duré jusqu’en octobre l’an dernier et même jusqu’en janvier en 2015. Moins impactant mais tout aussi spectaculaire : la hausse des températures augmente aussi l’évaporation, évaluée « à 2 cm d’eau par jour lors des fortes chaleurs », précise Claude Confuron.

Une baisse de 20 % des débits des cours d'eau attendue

En 2017, l’Établissement public Loire avait aussi évalué l’impact du changement climatique sur ses barrages (Naussac et Villerest) : parce qu’une baisse de 20 % des débits des cours d’eau est attendue, ceux-ci seraient davantage sollicités. « Les besoins en eau en aval nécessiteraient des lâchers trois fois plus importants qu’aujourd’hui à Naussac, résume Benoît Rossignol. C’est impossible. »

Agrandir le lac?? Aucun intérêt, conclut l’étude, étant donné les incertitudes concernant son remplissage. Il s’agit, déjà, de parvenir à remplir la réserve actuelle, ce qui passe par une maintenance régulière des équipements, assurée sur place par cinq personnes au quotidien et un million d’euros investis en moyenne chaque année.

Le barrage de Naussac, présenté ici par Claude Confuron, est constitué de roche et de béton sur 240 mètres de long.

Mais cela ne suffira pas. L’enjeu principal se situe donc surtout dans les usages, en aval. Le long de l’Allier et de la Loire, des études dites Hydrologie, Milieux, Usages et Climat (HMUC) visent ainsi « à redéfinir les équilibres entre ressources, usages et milieux, explique Benoît Rossignol. Cela pourrait modifier les objectifs du barrage. Les marges portent sur le remplissage l’hiver, mais encore faut-il avoir assez d’eau, et sur les économies d’eau pendant le déstockage. »

Un débit record en 2023 à Vic-le-Comte

Celui-ci commencera dans les prochaines semaines à Naussac, en fonction de la météo et de débits d’objectifs fixés le long de l’Allier et de la Loire. « Ils peuvent être ajustés en fonction de conditions particulières, par exemple le stock d’eau disponible », précise Benoît Rossignol.

Illustration pour la station de mesure puydômoise, à Vic-le-Comte : le débit d’objectif, établi entre 10 et 14 m3/seconde, a été baissé à 8 m3/s à l’été 2023, lorsque la baisse du niveau d’eau de Naussac semblait sans fin. « Du jamais vu depuis 41 ans », confirme Benoît Rossignol, qui ajoute :

Notre objectif est d’éviter une rupture totale du soutien d’étiage. Ces dernières années ont permis de prendre conscience que le remplissage n’était pas automatique et soumis à de grandes variabilités annuelles. Ça nous oblige à raisonner sur plusieurs années.

Et à ne pas se réjouir trop vite : l’eau stockée en ce printemps permet de commencer l’année sur de bonnes bases, mais l’équilibre reste fragile. En 2021 aussi, Naussac était plein.

Le taux de remplissage du barrage avoisine actuellement les 92 %, un record depuis 2021.

(*) Les soutiens d’étiage des barrages de Naussac (situé sur l’Allier) et Villerest (sur la Loire) bénéficient à 76 % pour l’énergie (centrales nucléaires) et l’industrie, à 19 % pour l’eau potable, à 5 % pour l’irrigation.

Arthur Cesbron

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