Matzneff, Duras, Nabokov… : Bernard Pivot en 5 moments clés d’“Apostrophes”
1975 : Nabokov met les points sur les i
C’est certainement l’un des faits d’armes les plus importants de la carrière de Bernard Pivot : avoir réussi à faire venir Vladimir Nabokov sur le plateau d’Apostrophes. L’occasion pour l’auteur de Lolita de notamment revenir sur la réception de cet ouvrage mythique, en particulier lorsque Bernard Pivot a le malheur de qualifier le personnage de “jeune fille perverse”. À cela, Nabokov assène une réponse catégorique : “Lolita n’est pas une jeune fille perverse. C’est une pauvre enfant que l’on débauche et dont les sens ne s’éveillent jamais, sous les caresses de l’immonde monsieur Humbert.” Moment gênant pour Pivot peut-être, mais ô combien important quand l’on voit ce que les médias et le temps ont fait au personnage de Lolita, diabolisée et tenue responsable des abus que son beau-père commettait sur elle. Ou remettre les pendules à l’heure avec classe et fermeté.
1976 : Mohamed Ali sur le ring
Venu en France faire la promotion de son livre I Am King, le boxeur américain Mohamed Ali essuie, sur le plateau d’Apostrophes, quelques réflexions quant à son attitude de boxeur, comparée à celle d’un “fanfaron” ou d’un “clown”. “Cette fanfaronnade gêne les Blancs plus que les Noirs”, répond-il alors avant de se lancer dans un discours puissant sur le racisme et le sentiment de revanche que son livre lui a prodigué.
1978 : Charles Bukowski, de l’alcool, et la porte de sortie
La scène, lunaire, a lieu en 1975. Bernard Pivot reçoit l’écrivain américain et autour notamment de Journal d’un vieux dégueulasse, Charles Bukowski. Ce dernier, qui laisse d’abord entendre d’imperceptibles mots tandis que le reste du plateau est trop occupé à l’ignorer, se lève soudainement. À n’en pas douter ivre, Bukowski se fait gentiment escorter vers la sortie et articule avec difficulté un au revoir général. Pivot commente le spectacle avec humour : “Finalement, il ne tient pas très bien la bouteille cet écrivain américain ?” La seconde d’après, les invités peuvent reprendre tranquillement leur discussion franchement sexiste sur les femmes et leurs défauts. Tout revient à la normale.
1984 : Duras en grâce
Entre les moments de rires et d’engueulades, Apostrophes était aussi le lieu où des instants de pure poésie pouvaient voir le jour. Ce fut le cas en 1984, lorsque Marguerite Duras vint présenter son nouvel ouvrage, L’Amant, quelques mois avant qu’il ne reçoive le prix Goncourt. L’écrivaine-réalisatrice, plus apaisée que jamais, a alors l’occasion de s’épandre sur son rapport décomplexé à l’écriture : “L’écriture courante que je cherchais depuis si longtemps, je l’ai atteinte. Une écriture presque distraite, qui court, plus pressée d’attraper des choses que de les dire.” Des minutes suspendues et transpercées par les mots d’une génie sans pareil.
1990 : Victoire par KO de Bombardier face à Matzneff
Si la carrière de Bernard Pivot est aussi jonchée de maladresses ou de séquences proprement scandaleuses, qui appartiennent plus que jamais à leur époque, on ne peut faire fi de la suivante : en 1990, le présentateur reçoit dans son émission l’écrivain Gabriel Matzneff. Aujourd’hui accusé de viol sur mineur, notamment par Vanessa Springora, ce dernier vient alors faire la promotion de ses textes où il narre ses “ébats” avec des adolescent·es. Reçu comme un véritable roi “spécialisé dans les lycéennes” par le présentateur, qui le qualifie avec amusement de “collectionneur de minettes”, Matzneff peut dérouler sa rhétorique misogyne comme bon lui semble. C’est sans compter sur l’intervention pleine de bon sens de l’autrice québécoise Denise Bombardier, présente sur le plateau et outrée par les propos tenus face à elle.