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[Cannes 2024] Judith Godrèche : raconter l’histoire du silence

Dans un court métrage réalisé avec un millier de femmes et d'hommes victimes de violences sexuelles, Judith Godrèche orchestre une symphonie de gestes pour dire la prison du silence.

Quelle envie a présidé le désir de ce film, Moi aussi

Judith Godrèche – Dès que quelque chose m’inspire ou qu’une situation m’émeut, spontanément j’ai envie d’écrire un film. La façon dont je mène ma vie me fait penser en images. Quand je recevais tous ces témoignages sur Instagram, puis par mail, je me suis dit qu’il fallait concrétiser ça par un projet touxtes ensemble. Le désir était de trouver une forme qui se place en opposition à la façon dont le cinéma prend, c’est-à-dire possède, parfois à nos propres dépens. C’est une question esthétique et philosophique : comment utiliser cette forme qu’est le cinéma sans exercer cette emprise du metteur en scène. Je ne dis pas que j’y réponds mais le film propose une piste. C’est un début de réflexion, un travail sur un langage singulier, qui s’apparente presque à celui de l’enfance, à travers ces gestes simples que les personnes effectuent dans le film, sans y être d’ailleurs contraints. Je tenais à la participation volontaire de chacun·e pour raconter l’histoire du silence, la mémoire traumatique et les cauchemars, sans faire un documentaire face caméra.

Que représente pour vous sa sélection à Cannes? 

Quand nous l’avons tourné, nous ne pensions pas à ça. Évidemment que tous les rêves de cinéma mènent à Cannes. J’y ai vécu des moments incroyables, comme en 2002 lorsque j’étais dans le jury de la Cinéfondation avec notamment Martin Scorsese, Abbas Kiarostami et Tilda Swinton. Mais il ne faut pas oublier que c’est aussi un endroit où ce rêve peut se transformer en enfer. L’épisode que j’y ai vécu avec Harvey Weinstein démontre à quel point ce système se joue de la crédulité des jeunes femmes. J’ai réussi à m’échapper de cette chambre d’hôtel à l’Eden-Roc mais avant de fuir, il a fallu que j’y aille, parce qu’il achetait le film. Dans le fond, ce rendez-vous n’aurait jamais dû avoir lieu, tout le monde savait ce qui m’y attendait. Avec mon court métrage, j’ai au contraire le sentiment de pouvoir ancrer ma présence à Cannes dans une forme de contrôle et d’activisme, parce que Moi aussi a été fait de A à Z dans la considération de l’autre. Cela passe aussi par une reconnaissance du travail des technicien·nes. Je monterai les marches leur tenant la main, certain.es sont aussi des victimes.

Vous avez participé à un rassemblement devant le CNC lundi dernier, appelant à la mise en retrait de Dominique Boutonnat, dont le procès pour agressions sexuelles sur son neveu est prévu en juin. Ses défenseurs argumentent que son ou sa remplaçante pourrait être d’extrême droite, qu’avez-vous à répondre à ça? 

Je soutiens évidemment la démarche de plusieurs collectifs féministes. Cet argument est d’un cynisme terrifiant. Nous voulons proposer d’autres noms au gouvernement. Mais au-delà de l’affaire Boutonnat, il est urgent de réformer nos métiers et nos institutions pour que ce type de situation ne puisse plus se reproduire. Les professionnel·les du cinéma pensent que parce que nous pratiquons un métier passion, les lois du travail qui régissent les autres secteurs ne s’appliquent pas. En fait, il faudrait créer un cadre pour l’instant inexistant où, la production et le cinéaste auraient de l’argent à perdre en cas d’abus sur les tournages. L’existence de référent·e harcèlement payé par la production ne fonctionne pas. Les formations sur les violences sexistes et sexuelles au CNC sont considérées par les professionnels comme une blague. Et il faut avouer qu’il y a quelque chose d’ ironique à proposer une formation contre les violences sexuelles dans une institution dirigée par un homme mis en examen pour agressions sexuelles. 

Vous avez récemment obtenu à l’Assemblée nationale la mise en place d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles au cinéma. On vous a vu très émue à l’annonce de cette nouvelle. 

Oui, parce que je me suis sentie à ma place à cet endroit, comme rarement dans ma vie. J’assume mon combat, même si c’est dur. Le chemin politique et parlementaire est encore long mais c’est un début encourageant. Ce que j’ai vécu, je ne le souhaite à personne. Je ne souhaite à aucune actrice d’imaginer qu’elle n’aura plus aucun rôle. J’ai reçu des menaces de mort et ils s’en sont immédiatement pris à ma fille. Quand je vois les jeunes actrices de l’ADA, leur courage, cela me redonne de l’espoir, même si je sais bien que cela leur ferme certaines portes. Aujourd’hui, je ne suis plus la femme de, la muse de, l’actrice de, je suis moi. 

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