Face aux randonneurs pas toujours préparés, une réhabilitation pour profiter de la brèche de Rolland en toute sécurité
Les jalons rouges et blancs du GR400 ne sont pas encore posés que les randonneurs embarquent déjà sur le nouveau chemin. Au fond de la brèche, Jean-Jacques et René évaluent la vingtaine de mètres de mur volcanique qui se dresse entre eux et le puy Mary puis filent à gauche. Si descendre dans la brèche depuis le Peyre Arse n’a pas été difficile, ils viennent de voir leur ami Bernard vaciller un peu en escaladant ce chemin érodé par les dizaines de milliers de passages de randonneurs. Très peu pour eux…
Le sentier qu’ils empruntent est encore vierge et, sans la corde qui vient d’être posée, n’inviterait pas au passage. Les équipes du Grand site du puy Mary et les élèves de l’Érea (Établissement régional d’enseignement adapté) d’Aurillac, invités sur le chantier pour apprendre, laissent passer les randonneurs puis continuent à planter les piquets et les dernières marches de ce sentier de 160 mètres, bien plus facile d’accès.
C’est Jean-Philippe Reygade, responsable technique du syndicat mixte, qui a retrouvé cette vieille trace. Comment ? En puisant dans ses souvenirs, dans ses courses d’adolescents en montagne : cet enfant de la vallée de la Jordanne connaît chaque repli de ce massif tout en rondeur et en arête, qu’il habite depuis près de cinquante ans. Il n’a pas été difficile, ensuite, de retrouver une photo sépia montrant un paysan posant dans la brèche de Rolland, au niveau de ce chemin aujourd’hui reconstitué.
« On n’interdit pas la montagne »Pour Audrey Legallais, directrice du Grand site, la photo a aidé à convaincre : « Le fait qu’il existait un chemin auparavant n’était pas indispensable, mais cela nous permettait d’avoir un argument complémentaire ». Il y a, sur ce bout de crête, entre le puy Mary et le Peyre Arse, un millefeuille d’acteurs, avec le Parc naturel des volcans, la DDT, la fédération départementale de randonnée, la commune de Mandailles, où passe le sentier… Il y a aussi, plus haut, le réseau des Grands sites de France : pas question d’aller créer des nouveaux chemins partout à travers un site classé.Le nouveau sentier reste montagneux.
La solution, peu onéreuse (environ 7.000 €), retire une épine du pied au Grand site. Si la brèche de Rolland n’est pas le seul endroit engagé dans le Cantal, il est de très loin le plus fréquenté. Une variante existait auparavant, mais privait le randonneur de la magie de cette crête en le forçant à passer par le col d’Eylac, en contrebas. Ceux qui avaient hésité ou qui n’avaient même pas anticipé la brèche se retrouvaient face au mur, surpris de sa difficulté.
« Depuis la crise du Covid-19, on a de plus en plus de randonneurs, et ils sont de moins en moins préparés physiquement, note Jean-Philippe Reygade. Les gens arrivent dans le Cantal en pensant que c’est de la moyenne montagne, que ce n’est pas dangereux. »GR400 breche Rolland grand site puy Mary nouveau randonnéeL’accident mortel du 29 octobre 2022 est venu concrétiser une inquiétude. Le secteur de la brèche de Rolland demande de l’engagement, et la montagne peut se montrer sévère. Ce jour-là, une femme de 64 ans escalade la partie qui vient d’être déviée. Si elle passe sans encombre la partie basse, la plus dure, elle est déstabilisée sur la partie haute. Vraisemblablement déséquilibrée par une bourrasque, elle bascule et chute en contrebas.
Chute mortelle d'une randonneuse à la brèche de Rolland (Cantal)
Les militaires du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Murat sont parfois engagés dans ce secteur. « La brèche de Rolland est une partie très courte, abrupte, où les gens doivent faire quelques pas d’escalade, explique l’adjudant-chef Rémi Crespe. Ils n’ont pas forcément le niveau technique ou l’équipement pour le faire. »C’est là que vient le paradoxe de la montagne. Que faire face à cette difficulté ? Les élus se sont toujours refusés à équiper la falaise, par exemple avec une corde. « Cela engagerait notre responsabilité en cas d’accident avec le matériel », note Audrey Legallais, directrice du Grand site. Sécuriser à outrance est toujours possible, mais au prix de l’attractivité de cette montagne encore préservée, naturelle.Plutôt que de faire artificiellement baisser la difficulté des sentiers, le PGHM croit en la prévention, rappelle que la randonnée en montagne, et dans le Cantal, nécessite des chaussures fermées, un matériel adapté, de regarder la météo avant de partir, « et de savoir renoncer ». Autant d’éléments qui provoquent bien plus d’appels de secours, chaque année, que la seule brèche de Rolland.
Cette variante réunit le meilleur des deux mondes : en réhabilitant un chemin déjà existant, « elle donne une possibilité aux gens d’éviter la partie la plus dangereuse. » Jean-Philippe Reygade rappelle un principe : « On n’interdit pas la montagne, on n’a pas fermé la brèche de Rolland ! Elle est balisée, on a trouvé un compromis avec 160 mètres de sentiers qui permettent de choisir quel chemin on souhaite prendre. »
Aujourd’hui, la trace est délimité par une corde. Cet été, elle va se marquer plus précisément, quand les végétaux, laissés sur place pour le moment, vont disparaître sous les pas des marcheurs. « On va surveiller son évolution avec attention, on reviendra ensuite voir s’il faut faire de nouveaux aménagements, par rapport au ruissellement par exemple. Le chemin va se créer tout seul, selon l’endroit que les randonneurs vont choisir. »
Rapidement, il passe un coup de meuleuse sur la roche et retire les marques rouges et blanches, dans la montée, tandis que les élèves de l’Érea reprennent le matériel, en direction du pas de Peyrol. Sans le dénaturer, un des plus beaux endroits du Cantal est sécurisé.
Pierre Chambaud