Succession du Guide suprême : en Iran, un Khamenei peut en cacher un autre
Dans la brume de Téhéran, on ne parle que de lui. Avec son turban noir et sa barbe poivre et sel, Mojtaba Khamenei reste pourtant invisible, caché au cœur de la mécanique infernale de la République islamique. A 55 ans, Mojtaba est le deuxième fils de l’ayatollah Khamenei, celui que son père a placé à la tête du Beit, le bureau chargé de valider toutes les décisions prises par l’Etat iranien, afin de s’assurer qu’elles soient parfaitement en accord avec la vision du Guide suprême. Une position idéale pour superviser la République islamique. Et se préparer à la diriger.
Jusqu’à présent, Ebrahim Raïssi apparaissait comme le mieux placé pour succéder au Guide suprême de 85 ans, à la santé fragile. D’une loyauté absolue, le président iranien portait avec fierté la vision islamiste et totalitaire de l’ayatollah Khamenei, qui fut son enseignant. Mais le crash de l’hélicoptère présidentiel, le 19 mai, rebat les cartes. Le favori, désormais, porte le même nom que le Guide suprême. "Khamenei a éliminé toute personne qui pourrait potentiellement rivaliser avec son fils pour prendre sa place, assure l’historien Abbas Milani. S’il était vraiment opposé à ce scénario, il prendrait la parole pour dire publiquement qu’il ne veut pas que son fils lui succède. Mais il ne le fait pas."
L’appui de son père n’est pas le seul atout sur le CV de Mojtaba Khamenei. Vétéran de la guerre contre l’Irak dans les années 1980, il a noué des liens précieux avec des soldats et des membres des services de renseignement, qui ont gravi les échelons. Aujourd’hui, il peut compter sur sa proximité avec des leaders des Gardiens de la révolution, cette force paramilitaire capable de semer le chaos dans tout le Moyen-Orient.
De nombreuses rumeurs
"Depuis 2005, il circule de nombreuses rumeurs sur le rôle de Mojtaba Khamenei au sein de la scène politique iranienne. Comme Raïssi, Mojtaba représente une fraction très dure du pouvoir, les néoconservateurs, qui s’appuient sur la force des Gardiens de la révolution", pose Mojtaba Najafi, chercheur en sciences de l’information et spécialiste de l’Iran. Signe de son importance pour la suite, Mojtaba Khamenei a obtenu le grade d’ayatollah en 2022, le rang le plus élevé du clergé chiite, indispensable pour devenir Guide suprême.
La voie reste toutefois loin d’être dégagée pour l’héritier. "Dans la République islamique, l’idée d’une dynastie au pouvoir est un tabou, souligne Mojtaba Najafi. Il ne faut pas oublier que la Révolution de 1979 avait pour objectif d’éliminer les rois. En réalité, la République islamique est une nouvelle forme de monarchie religieuse et ce tabou pourrait être écarté si le pouvoir iranien juge que Mojtaba est le seul capable de gérer le pays et les crises."
A moins que le Guide suprême n’ait d’autres préoccupations en tête : il se souvient que le fils et bras droit de son prédécesseur, l’ayatollah Khomeini, avait été retrouvé mort dans des circonstances suspectes, en 1995. Le régime avait conclu à une crise cardiaque, sa famille à un empoisonnement par les services secrets. Un autre destin monarchique.