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"Être ensemble intelligemment" : pourquoi les ateliers d'écriture se développent en France

C’est l’histoire d’un village de Haute-Loire qui s’apprête à se muer, le temps d’un week-end, en capitale française des ateliers d’écriture. Depuis sa création en 2015, le Festivalet travaille à rendre la pratique de l’écriture - réputée sérieuse et intellectuelle - davantage accessible et ludique. Et ça marche. En 2022, sa dernière édition - la manifestation a lieu tous les deux ans - a attiré à Chilhac (Haute-Loire) près de 200 participants venus de toute la France. Sous la houlette d’une dizaine d’animateurs, des passionnés suivent des ateliers d’écriture dans des endroits insolites, chez l’habitant ou dans des lieux publics.Un des ateliers d'écriture du Festivalet s'est tenu en 2017 chez un potier.  Cette année, la septième édition se tiendra le week-end des 7, 8 et 9 juin, toujours à Chilhac (Brioude et Blesle, deux autres communes de Haute-Loire, ont accueilli auparavant l’évènement). Chargé des projets au sein de l’association Tisseur de mots, qui propose depuis 2010 des ateliers et des stages d’écriture, Igor Chirat est à l’origine de la manifestation. « Je voulais créer un événement festif autour d’une pratique considérée comme sérieuse. Et favoriser les rencontres car tant l’écriture que l’animation d’ateliers sont des pratiques solitaires. »

Un Français sur quatre veut écrire un livre

Sur chaque demi-journée, plusieurs ateliers d’écriture ont lieu simultanément avec des intervenants différents. La répartition des participants se fait par tirage au sort. « C’est l’âme même de cet événement. Ça signifie que les participants sont prêts à se laisser surprendre par des méthodes d’animation qu’ils ne connaissent pas forcément. Parfois, ils sont déçus, mais parfois, ils sont conduits sur des chemins qu’ils n’avaient pas du tout l’habitude d’explorer : c’est cela qui nous intéresse. »Photo Marion Boisjot En France, l’intérêt pour l’écriture ne cesse de croître. Selon un sondage du Figaro Littéraire-Odoxa, un Français sur 4 désire se mettre à l’écriture d’un roman, d’un essai ou de souvenirs. 5 % sont déjà passés à l’acte, soit 2,5 millions d’auteurs en herbe. Sans surprise, les ateliers d’écriture se multiplient et trouvent leur public. Installée à Clermont-Ferrand, Chantal, une habituée, participera au Festivalet pour la troisième fois. Le désir de voir publier ses textes n’est pas sa motivation première. « Il n’est pas facile d’être édité dans le genre de la poésie », dit-elle. Non, si elle aime les ateliers d’écriture, c’est parce qu’ils « permettent à la fois un moment de retour sur soi et un moment de convivialité, de partage. Le confinement a renforcé quelque chose qui était déjà dans l’air du temps. Aujourd’hui, avec la situation compliquée sur le plan international, on a un besoin de se ressourcer. Les ateliers d’écriture permettent de poser sur le papier des émotions. C’est à la fois un moment pour soi et un moment avec les autres, car, après le temps d’écriture, il y a l’échange, où chacun lira ce qu’il a écrit : l’écoute, ce n’est pas rien. »

Igor Chirat attribue aussi un rôle politique aux ateliers d’écriture.  « Je crois de plus en plus que dans notre monde aujourd’hui, on nous dit ce qu’on doit penser, on nous dit ce qu’on doit dire : l’atelier d’écriture, c’est un espace où l’on peut reprendre sa propre liberté et surtout s’autoriser à penser, à exprimer, à dire par soi-même. » C’est une fois à la retraite que Babeth, autre mordue des ateliers d’écriture, s’est mise à vouloir prendre la plume pour raconter des histoires et « prendre du temps pour soi dans un monde qui court tout le temps, qui devient menaçant. » Est né de cette histoire un polar. « Je l’ai fait éditer, mais par pas dans la filière commerciale habituelle, parce que c’est extrêmement dur… Mais c’est vrai que l’envie d’être publié, je la rencontre beaucoup chez certaines personnes. » Avec son association Tisseurs de mots, Igor Chirat ne surfe pas sur ce désir individuel de publication. « Les ateliers d’écriture qui m’intéressent ne se situent pas là : il y a d’autres enjeux et notamment des enjeux de lien social, de relations interpersonnelles et de construction d’un commun qui sont plus importants qu’une ambition personnelle de publication. » 

Retrouvez l’ensemble du programme sur le site : www.tisseursdemots.org

"Une sociabilité intelligente"

Professeur en littérature française à l’université de Montpellier et responsable du DU d’animateur d’ateliers d’écriture de l’université Paul-Valéry, Marie Bourjea constate « une présence plus importante et plus visible depuis 2010 » des ateliers d’écriture.  Les raisons qui poussent les participants à s’inscrire sont variées.  

C’est vrai qu’écrire, ça permet de s’écouter, mais dans un bon sens du terme, et puis d’écouter les autres aussi. Enfin, on ne peut pas nier aussi que même sans être dans un désir de travail de la langue ou de création, l’écriture permet l’expression, et dire et se dire, ça participe d’une forme de soin, même quand on ne va pas mal. C’est une manière de mettre des mots sur notre vie.

« Il peut y avoir pour certains le fait que quand on est seul chez soi, on a du mal à écrire parce qu’on a du mal à se créer un espace à soi, pour soi. Ensuite, il y a le désir du partage, d’être ensemble intelligemment, en création, de partager autre chose que du divertissement. Essayer d’être auprès d’une interrogation de nos raisons d’exister, et l’écriture est un des moyens les plus subtils pour arriver à ça. Donc, une forme de sociabilité intelligente, mais qui en même temps rejaillit sur chacun. »

Nicolas Faucon

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