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Sorties, cuisine, jeux : dans la Creuse, ces seniors ont choisi de vivre en colocation

Sorties, cuisine, jeux : dans la Creuse, ces seniors ont choisi de vivre en colocation

Les habitats partagés entre seniors se développent. En Creuse, ils peuvent représenter une alternative aux modèles actuels. Une façon aussi de lutter contre l’isolement. Reportage.

Jarnages. Avec sa façade couleur terre battue, ses volets repeints, et ses logements entièrement rénovés, c’est une maison avec du cachet, qui se tient là, sur la place du marché de Jarnages. Au cœur du village.

Un habitat inclusif qui s’apprête à accueillir ses premiers locataires. « Il faudrait qu’il y ait au moins une machine à laver », liste, à haute voix, Vincent Turpinat, le maire de la commune, en nous faisant visiter l’espace partagé de la maison, à la fin du mois de mai. Dans cette pièce, on pourra discuter, faire un gâteau, le manger aussi, jouer à la belote, s’asseoir, lire, peindre, coudre, et plein d’autres verbes du troisième groupe. « On peut tout imaginer », martèle l’élu, rappelant que la mairie « n’a pas la vocation ni la compétence pour assurer l’animation de la maison ». Une personne sera embauchée pour aider au bon déroulé du projet de vie partagée.

Cet habitat inclusif s’adresse aussi bien à des personnes âgées qu’à des personnes en situation de handicap. Dans le studio en duplex, au premier étage, un jeune qui fait des études dans le sanitaire pourrait même poser ses bagages. « L’étudiant pourrait apprendre son métier, ici, dans la maison, en y faisant un stage ».

Un projet rare

Au rez-de-chaussée, « le pôle domotique de Guéret a fait une modélisation 3D de cette pièce », raconte Vincent Turpinat. La pièce en question : une salle, discrète, de préparation aux soins pour les personnels infirmiers : « pour faciliter leur travail et pour ne pas que tout traîne sous les yeux du locataire ». Dans la salle de bains, au-delà de répondre aux normes d’accessibilité avec la pose de rails, de rampes, le mobilier a été personnalisé pour sortir des standards blancs, fades, uniformes, qui peuvent rappeler ceux d’une chambre d’hôpital.

« C’est une petite révolution, une maison comme celle-là », se félicite Cécile Kirsch, de l’association Les Toits de l’Horizon. « La vie dans cette maison c’est de créer des liens », ajoute-t-elle. Et ainsi lutter contre l’isolement et la solitude. « Plus on est seuls, plus on régresse », juge le maire de Jarnages, infirmier de profession. Aux locataires de réussir à créer une solidarité « qui d’ailleurs pourra aller dans les deux sens », insiste Cécile Kirsch.

C’est une petite révolution, une maison comme celle-là !

Un projet de la sorte est assez rare en France. « Le premier appel à projets avait été lancé il y a quatre ans », se souvient Vincent Turpinat. « Normalement, ça prend 6/7 ans », relance Cécile Kirsch qui dit « ne pas en avoir vu beaucoup » des projets comme celui de Jarnages, dont la vocation est d’être « urbain et humain ».Un parc pour enfants sortira bientôt de terre, entre la maison et l’église. Il y a aussi la volonté d’associer à la démarche les enfants de l’école maternelle du village. Et pourquoi pas se faire livrer des repas locaux pour certaines occasions si les locataires le souhaitent ? « Encore une fois on peut tout imaginer », reprend l’édile. Imaginons alors. Inauguration à la fin du mois de juin.

 

Soumans. Une notification apparaît sur le groupe de discussions entre la famille de Lili, 93 ans, et la maison Humanoa de Soumans, où la nonagénaire vit en coloc’ avec cinq autres résidentes, atteintes de la maladie d’Alzheimer. « Mais Maman, elle fume ? ! » s’est exclamée interloquée Evelyne, sa fille. Sur la photo reçue, la nonagénaire prend la pose lors de la sortie pique-nique, avec une bouteille de vin et une clope à la main. « J’en avais une aussi cachée derrière l’oreille », se félicite-t-elle d’un ton assuré, aux côtés de sa fille, venue lui rendre visite pour la journée.

Quand on a reçu la photo des trois pâtés de pommes de terre dans le groupe WhatsApp, on s’est dit “trop bon, mais on n’en n’aura pas

Cet après-midi de juin, sans trop de soleil mais avec une température agréable, a permis aux résidentes de se retrouver sur la terrasse et de discuter. « Ça va Paulette ? - Ça m’aurait étonné que tu ne dises rien toi », répond amusée la doyenne de la maison, 96 bougies sur le gâteau. « On se sent libres ici, on s’entend bien entre nous alors qu’on ne se connaissait pas, je me sens un peu comme chez moi », avoue Lili, qui ne s’attendait pas à autant apprécier la vie en colocation.« On a visité un samedi, et on devait visiter une maison de retraite ailleurs le lendemain » se souvient sa fille, qui avait annulé l’autre visite dès le samedi midi. « J’ai décidé de rester », confirme sa mère. Provisoirement, dans un premier temps.

 

« Ça ne devait être que pour un mois, mais je m’y suis plu tout de suite », reconnaît la nonagénaire, confessant ne pas du tout regretter son choix. « Les futurs résidents veulent d’abord tester sur du provisoire », note Stéphane Béguin, le directeur de la maison Humanoa : « et puis à chaque fois, le temporaire devient durable, parce que la personne s’est sentie bien chez nous ».

 

À ça, plusieurs raisons. L’idée de départ d’Humanoa était de proposer une solution à taille humaine alternative aux structures, avec « un suivi individualisé et un respect du rythme de chacun », selon le directeur Stéphane Béguin. Trois personnes se relaient en permanence, jour et nuit, 365 jours par an, pour assurer la sécurité et le suivi des colocataires. Dans la maison, les chambres sont privées et les espaces de vie, comme la cuisine, le salon ou la terrasse, sont partagés.

 

« Quand les colocataires rentrent dans la maison, ils doivent signer un règlement intérieur dans lequel il est précisé que “l’intérêt collectif prime sur l’intérêt individuel” », raconte Stéphane Béguin, qui a travaillé plus de 15 ans dans des structures et des unités Alzheimer. Un équilibre parfois difficile à trouver. « Au début, c’est toujours difficile de comprendre l’intérêt d’une coloc, mais après une semaine ou deux, tout rentre dans l’ordre », souligne-t-il.

 

La cuisine joue un rôle essentiel dans la vie de la coloc. Sur la table, chacune a une étiquette où son nom est écrit. « On mange tous ensemble, souvent des plats en sauce », commente Stéphane Béguin. Avec les quelques journées ensoleillées du mois dernier, les résidentes sont parties en vadrouille, le pique-nique dans le sac.  « Quand on a reçu la photo des trois pâtés de pommes de terre dans le groupe WhatsApp, on s’est dit “trop bon, mais on n’en n’aura pas” », plaisante Evelyne. La championne du pâté de pommes de terre, c’est sa mère, Lili. Une recette 100 % faite maison. « J’ai amené l’économe de chez moi avec lequel j’avais l’habitude d’éplucher les légumes », liste la nonagénaire qui a aussi apporté son batteur électrique.

Le coût ce n’est pas plus cher que l’Ehpad, et la vie ici, ça n’a rien à voir avec ce qui se fait dans des structures

Et puis, il y a eu la soirée raclette. Un grand succès auprès des colocataires qui semblent avoir apprécié l’idée. « La raclette, et la rosette aussi », leur répond Stéphane Béguin.

“Le patron”, comme l’appelle Lili, a proposé toute une myriade d’activités depuis l’ouverture de la maison en août 2023. De la peinture, du théâtre, des sorties au marché, des pique-niques, la découverte du Gospel aussi. « Je leur ai proposé de les emmener en vacances, sourit le directeur d’Humanoa. Et elles veulent bien », lance-t-il, se demandant bien comment organiser ça. Mais il arrivera à le faire.

Retrouver du lien social

« Ce sont des gens formidables » expliquent de concert les six colocataires. « Si on explique comment ça fonctionne et avec qui, on ne peut pas faire mieux », argumente la fille de la nonagénaire. « Le coût ce n’est pas plus cher que l’Ehpad, et la vie ici, ça n’a rien à voir avec ce qui se fait dans des structures », estime-t-elle. Dans la maison, des gens du village viennent passer du temps avec elles. La coiffeuse passe très souvent. « J’aimerais créer du lien intergénérationnel », juge aussi Stéphane Béguin.

 

 

Vivre en coloc semble permettre dans une certaine mesure de retarder l’évolution de la maladie. « L’une des colocataires ne marchait pas en arrivant. Aujourd’hui, le fauteuil roulant est au placard », note Stéphane Béguin. « Une autre se sauvait partout. Aujourd’hui, elle a trouvé ses repères, et ne se sauve plus », explique-t-il. Et de conclure : « Les résidentes ont amené des meubles, des cadres photo, des tableaux, pour se sentir un peu comme chez elles. C’est important de trouver des repères avec la maladie ». Une colocation qui fait ses preuves, et dont le modèle pourrait être amené à se multiplier à l’avenir.

 

À Soumans dans la Creuse, villa recherche onze colocataires seniors

 

On se met à la place du futur locataire. Si la maison est placée sur le parking d’une zone commerciale, ça ne le fait pas..

Saint-Fiel. Un tableau, des chaises. Une télé, un canapé. Deux ambiances, mais la même salle. « Toute la pièce centrale était une classe d’école temporaire. J’ai dû visiter quand les petits étaient à la cantine », sourit Marie-Liesse d’Orléans, chargée du développement immobilier chez CetteFamille. Elle parcourt le pays à la recherche du bon lieu avec le bon projet, en lien avec les municipalités. « On se met à la place du futur locataire. Si la maison est placée sur le parking d’une zone commerciale, ça ne le fait pas », ajoute-t-elle. Mais à Saint-Fiel, là entre les bureaux des écoliers, Marie-Liesse d’Orléans s’est dit que ça le ferait.

 

Ce nouvel habitat partagé entre seniors, qui espère ouvrir ses portes pendant l’été, se veut être une solution alternative au bien vieillir. « Comme à la maison, répète Joséphine Cordellier-Pennec, directrice du rayonnement territorial chez CetteFamille. Les futurs colocs pourront venir avec leur propre lit, leurs cadres photos, leur armoire normande aussi s’ils le veulent ». Même avec leur poisson rouge. Les animaux de compagnie sont acceptés. Que ce soit dans cette maison de 235m2 de plain-pied, où seront logées des personnes atteintes de troubles cognitifs, ou dans les autres colocations mentionnées auparavant, les sujets majeurs de la vie de la colocation sont portés au débat très régulièrement. Ensemble.

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