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"Je suis tombé à 47 kg, j'étais un vrai zombie" : dans l'enfer du chemsex, le sexe sous drogues

Lorsqu’il est « monté » à Paris, en 2016, Corentin Hennebert s’est senti « comme un gamin à Disneyland ». « Les tentations étaient partout, c'était compliqué de résister », se souvient-il. Lui, « jeune homo de 21 ans » avide « de fêtes et de soirées », est alors propulsé dans un univers trouble, où « pas mal de produits circulent » et dont il ne maîtrise ni les codes, ni les dangers. Le début d’un engrenage infernal, alimenté par ces rendez-vous fixés en quelques clics sur son smartphone.

D’abord épisodiques, ses « plans chemsex » – contraction de chemicals (produits chimiques) et sex en anglais – se sont donc multipliés au fil des semaines et des rencontres. Jusqu’au pic de 2018. « À l’époque, j’avais une relation avec quelqu’un qui consommait presque tous les jours. J’ai été aspiré dans le truc pendant sept mois. C’était non-stop. »

GBL, 3MMC, méthamphétamines

Les rapports s’enchaînent. Les prises aussi. En haut de la liste figure le GBL (pour gamma-butyrolactone), un solvant détourné de son usage industriel, qui se transforme après ingestion en GHB, également appelé « drogue du violeur » pour ses effets euphorisants et désinhibiteurs.

Pas une orgie non plus sans 3MMC, une drogue de synthèse peu chère, très facilement accessible via internet, qui permet d’augmenter l’endurance et l’appétit sexuels.

Troisième incontournable des soirées du néo-Parisien : la méthamphétamine, ou « tina », un autre psychostimulant ultra-addictif aux effets comparables à ceux du crack, associant une phase de montée subite, avec augmentation de la libido et désinhibition sexuelle, suivie d’une descente tout aussi brutale.

L’arsenal des accros au chemsex comprend aussi cocaïne, kétamine et MDMA. Une diversité de substances qui génère, inévitablement, des risques en cascade : overdoses, pertes de conscience, troubles cognitifs et cardiaques, envies suicidaires, états délirants, hallucinations, hyperagressivité…

Le retour de bâton peut être violent, parfois même fatal (voir encadré ci-dessous). Pris dans la spirale de la « double addiction au sexe et aux produits », Corentin Hennebert perd pied. « J’en suis arrivé au stade où il n’y avait rien d’autre. C’était la surenchère permanente, la course sans fin vers toujours plus de performance, toujours plus de partenaires. » Son corps s’épuise et s’abîme.

« À la fin, j’en étais à deux repas et trois nuits de sommeil par semaine. Je suis tombé à 47 kg. J’étais un vrai zombie… »

Dans un rapport de référence publié en 2022 et remis au ministère de la Santé, Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, situe « l’essor » du chemsex en France « vers 2010 », une vingtaine d’années donc après son apparition, « à la fin des années 1990, dans les communautés gays américaines et anglo-saxonnes ».

« Un sujet très complexe à traiter »

La diversité des profils n’empêche pas des problématiques partagées. « Dans tous les cas, reprend Anthony Plasse, c’est un sujet très complexe à traiter, au croisement des addictions chimique et comportementale. » Avec un spectre de conséquences qui va bien au-delà des seuls (gros) enjeux sanitaires.

« Quand vous enchaînez les plans “chems”, toute votre vie sociale et sexuelle tourne autour de ça. Si vous arrêtez le produit, vous sortez du groupe, vous vous isolez et avez le sentiment de ne plus intéresser. C’est un élément qui complique la sortie. À l’inverse, pour parler crûment, il est compliqué de retourner au boulot le lundi après trois jours de partouze. L’impact professionnel peut être dévastateur. »

« À l’inverse, pour parler crûment, il est compliqué de retourner au boulot le lundi après trois jours de partouze. L’impact professionnel peut être dévastateur. »

« Important de dire qu'il est possible d’en sortir »

Arrivé au bord du précipice, Corentin Hennebert a réussi « in extremis » à se « reprendre en main ». « Il m’a fallu des années pour couper. Il y a tout un processus de rééducation, notamment pour revenir à du sexe “normal”, sans produits. Mais c’est important de dire que c’est possible. » En plus des rendez-vous médicaux, le jeune homme a participé à des groupes de parole – « ça m'a fait un bien fou » – et s’est « réfugié dans l’écriture ».

De son histoire, il a tiré une pièce de théâtre « d’information et de prévention » intitulée Amours chimiques. Le spectacle a été joué à Paris en mai et passera par Toulouse en octobre. « J’ai transformé cette période très sombre en engagement militant, dit-il. Aujourd’hui, je me suis à la fois utile et en paix. »

En écho au message de Corentin Hennebert, les lignes bougent. « Les dispositifs de prise en charge se multiplient », se félicite Anthony Plasse à Lyon. Fin mai, 70 députés de différents bords ont également rédigé une proposition de résolution réclamant une « stratégie nationale de prévention sur le chemsex ». L’initiative devait être soumise au vote en juin mais a été percutée par la dissolution. Sa réactivation est désormais suspendue à la coloration de la prochaine Assemblée.

Stéphane Barnoin

Trois morts et cinq overdosesen quelques semaines à Bordeaux

La communauté des chemsexeurs a connu récemment une série noire dans la capitale girondine. Le 12 mars 2024 d’abord, les corps sans vie de deux hommes de 44 et 47 ans ont été découverts dans leur appartement du quartier Saint-Michel. Les pompiers avaient été prévenus par des voisins, « alertés par l’odeur pestilentielle qui se dégageait du logement », selon France Bleu Gironde. L’enquête a permis d’établir que les décès remontaient à plusieurs jours et que le couple avait consommé des quantités létales de GBL.

Photo Francis Campagnoni

Le 15 mars, une femme de ménage qui intervenait dans un studio loué via Airbnb, toujours à Bordeaux, trouvait un homme gisant sur le sol en sous-vêtements, en présence de 3MMC, ecstasy et GBL. Inconscient mais vivant, ce quadragénaire, ex-sportif de haut niveau, a ensuite expliqué avoir subi un « surdosage accidentel » lors d’une soirée de chemsex en compagnie de plusieurs partenaires masculins et reconnu vendre des stupéfiants depuis 2021.

Jugé fin avril, il a été condamné à dix mois de prison, dont neuf avec sursis, pour trafic de drogue. D’autres décès à Lyon, Paris et dans le Doubs Le 16 mars, rebelote : victime lui aussi d’un malaise, un chemsexeur bordelais est parvenu à donner l’alerte à temps pour être secouru. De la 3MMC, de la kétamine et des poppers ont été saisis dans le logement.

Le 8 avril en revanche, les pompiers et le Samu ne sont pas parvenus à réanimer un quinquagénaire qui s’était également livré chez lui à des rapports sexuels sous emprise d’un cocktail de substances. Quelques jours plus tard, le parquet de Bordeaux a annoncé la mise en examen de deux hommes de 34 et 40 ans, respectivement pour trafic de stupéfiants et complicité de trafic.

D’autres décès sont survenus ces derniers mois dans des circonstances identiques, comme en septembre 2023 à Valdahon (Doubs) ou en janvier 2024 à Paris et Lyon.

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