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La revue “Critique” consacre son nouveau numéro à Pasolini

“Carnet de notes pour une Orestie africaine” (1970) de Pier Paolo Pasolini
Dans son dernier numéro spécial, intitulé “Pier Paolo Pasolini : un songe fait en Italie”, la célèbre revue propose d’éclairer l’œuvre et l’héritage du cinéaste italien, en interrogeant la manière dont ils résonnent encore avec une étonnante fertilité dans le monde contemporain, près d’un demi-siècle après son assassinat.
“Carnet de notes pour une Orestie africaine” (1970) de Pier Paolo Pasolini

Le centenaire de la naissance de Pier Paolo Pasolini en 2022 a donné lieu en France comme en Italie à une myriade de publications qui ont permis de dissiper quelque peu les mythologies réductrices et complaisantes sur l’œuvre de Pier Paolo Pasolini. Si dans son recueil Poésie en forme de rose, le poète se présentait comme “une force du Passé”, une nouvelle exégèse de son œuvre s’est imposée en le présentant, loin de tout culte, comme une force du présent rendue à l’Italie avec une capacité visionnaire unique, comme en témoignent les prémonitions des Lettres luthériennes et des Écrits corsaires

C’est ce Pasolini, à l’heure des problématiques contemporaines, que se propose d’interroger le numéro spécial de Critique, en invitant plusieurs spécialistes italiens de son œuvre aux côtés de connaisseur·ses français·ses de sa réception italienne.

Le mythe Pasolini  

Parmi les différentes contributions, nous retrouvons deux textes inédits. Le premier est écrit par Pasolini lui-même et intitulé “Nouvelles questions linguistiques”. Si, en France, on le connaît surtout comme cinéaste, en Italie, c’est notamment son œuvre littéraire qui le place dans la modernité, ne serait-ce que pour son travail de déstructuration et de diversification de la langue italienne. Dans ce texte, il s’interroge non sans crainte sur l’avenir de la littérature dans la société techno-capitaliste. À travers ses questionnements linguistiques, l’auteur dessine une histoire de la littérature italienne du XXe siècle, et insiste notamment sur la portée révolutionnaire des phénomènes dialectaux avec l’idée que certains aspects du passé pourront permettre d’insuffler du renouveau. Faire rejaillir de l’archaïque au cœur du contemporain, voilà un geste on ne peut plus pasolinien.  

Le second, intitulé “Le Mythe Pasolini”, a été rédigé par l’écrivain et éditeur en Italie des œuvres complètes de Pasolini, Walter Siti. Il propose d’appliquer une signification mythique, telle que l’a définie Roland Barthes dans ses Mythologies, à l’image de Pasolini en analysant ses composantes dans l’œuvre. De “la poésie mise à mort par la société” à “l’homosexualité exemplaire”, l’auteur identifie six grandes composantes qui ont érigé le poète en figure mythique transcendant les oppositions politiques. 

En outre, Siti nous invite à explorer un autre motif élaboré également par Barthes, celle du “tilt”, qui, selon lui, offre une clé de compréhension complète de l’œuvre. Ce tilt se définit comme un détail stylistique saillant qui, à lui seul, recouvre une valeur qui permet de résumer l’œuvre entière. Plus généralement, son travail critique nous invite à lire Pasolini en contrepoint de l’image que se donnait l’auteur, qui se faisait volontiers le chantre de la gaieté et l’incarnation du vitalisme. Loin de déifier l’auteur, Siti exprime plutôt sa méfiance quant à la divinisation qu’on a faite de lui. Si bien qu’en relisant son œuvre, on est forcé·e de constater qu’elle ne laisse percer aucune réalité de son expérience, car l’enjeu de l’écriture chez Pasolini n’est pas la vérité du moi écrivant et narrant. L’auteur préfère constamment détourner le soi vers la représentation fictionnelle. 

“Un poète sur le même plan que Dante, Michel-Ange et Leopardi”  

René de Ceccatty, auteur d’une biographie de Pasolini, dont il a également assuré la traduction et l’édition de nombreux textes, accorde un entretien édifiant qui permet de mieux cerner l’œuvre de Pasolini. Le spécialiste explore notamment les différentes périodisations de son œuvre. Bien qu’il soit relativement facile de distinguer différentes périodes selon les canaux d’expression artistique utilisés et selon ses différents rapports à la sexualité et à ses engagements politiques, René de Ceccatty les unifie dans un continuum poétique. Il est avant tout un poète qui a su savamment se saisir de tous les médias de son époque et à ce titre, René de Ceccatty rapproche la figure de P.P.P., avec des tempéraments certes différents, à celle de Jean Cocteau et de Jean Genet. Sa capacité visionnaire est plus à rapprocher du côté de l’auteur de la Divine Comédie qui, comme lui, a consacré sa vie à la quête du sacré dans le réel et a su, à travers son œuvre, en offrir une image éloquente.  

Il revient également sur l’élucidation du meurtre de Pasolini, qu’il qualifie de crime parfait. En effet, selon le spécialiste, les auteurs de ce meurtre sauvage perpétré sur une plage d’Ostie, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, et qui ont invoqué des motivations sexuelles, savaient pertinemment que cet argument fonctionnerait pour les deux parties. Aux yeux des détracteur·rices de l’artiste, ce crime achevait de peindre l’image d’un homosexuel dépravé, puni par ses propres vices, tandis que pour ses admirateur·rices, il ne faisait que renforcer l’image d’un martyr de l’homosexualité. Si, depuis, des hypothèses fantasques ont circulé sur la mort de P.P.P., l’image la plus juste et représentative selon René de Ceccatty réside dans le film d’Abel Ferrara, Pasolini, qui donne à voir, à travers une atmosphère sombre et énigmatique, le mystère entourant sa mort.

On a souvent pensé que la mort tragique de l’artiste offrait la clé de compréhension matricielle de son œuvre et de son existence, mais elle a surtout participé à bâtir le mythe. Celui d’un écrivain qui a sacrifié sa vie à son œuvre.  

“Pier Paolo Pasolini : un songe fait en Italie”, Critique 925-926, 14 euros.
 

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