Entretien, financement... Dans l'Allier, le chemin de fer du lithium suscite de nombreuses interrogations
À l’instar du vice-président du projet lithium Alan Parte lors d’une intervention le 23 mai à la Grande halle d’Auvergne à Aubière (Puy-de-Dôme) dans le cadre du débat public organisé par la CNDP, les dirigeants du groupe Imerys le répètent à l’envi : "Le rail doit exister. Il n’y a pas de plan B. Le transport du minerai par camion est un non-sens".Après avoir assuré, dans le dossier du maître d’ouvrage rendu public en février, "que l’extraction et la production de lithium dans l’Allier respecteraient les normes les plus strictes en matière environnementale et sociale", Alan Parte n’entend pas se dédouaner et renoncer au transport par voie ferrée du lithium extrait de la mine d’Échassières.
Limitation de vitesseMais pour acheminer le précieux minerai entre la plateforme de chargement située à Saint-Bonnet-de-Rochefort et l’usine de conversion qui doit sortir de terre près de Montluçon en 2028, les trains de fret ont besoin d’une ligne de chemin de fer en bon état. "Ce n’est pas vraiment le cas", estiment les représentants locaux de la CGT Cheminots qui dénoncent les ralentissements programmés dans les prochains jours par la SNCF sur une partie du tronçon. "À partir du 21 juin, une limitation de vitesse à 60 km/heure sera mise en place sur la ligne Montluçon-Gannat entre Commentry et Lapeyrouse", rappelle Michel Dubreuil, secrétaire de la CGT Cheminots de Montluçon.
Le 5 juin 2023, dans une publication du groupe Imerys, Guillaume Rameau, chef de projet ingiénerie en charge des infrastructures au sein de la multinationale spécialisée dans la production et la transformation de minéraux industriels évoquait la nécessité d’effectuer des travaux : "La ligne Gannat-Montluçon souffre d’un déficit d’investissement depuis plusieurs années".
La main à la pocheMais le temps presse. La mise en route du projet Emili est prévue pour 2028. Un timing qui interpelle Michel Dubreuil : "J’ai un doute sur la faisabilité des travaux dans les trois ans qui viennent". Contactée, la SNCF confirme le ralentissement sur le tronçon entre Commentry et Lapeyrouse mais refuse de s’épancher sur le dossier lithium. "Cette ligne fait l’objet d’un potentiel développement fret avec le projet de l’industriel Imerys qui est en cours de débat public jusqu’en juillet." Point final.
Frédéric Aguilera est plus disert. "Les discussions entre les différents acteurs ont commencé. Les pouvoirs publics ont demandé à SNCF Réseau de chiffrer les besoins pour que le projet Emili puisse se faire par le ferroviaire", explique le vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes en charge des transports. "Je comprends l’inquiétude des syndicats mais je peux vous assurer que nous trouverons des solutions. Evidemment que l’État mettra la main à la poche."
Un signal fortMaire de Gannat et présidente de la communauté de communes Saint-Pourçain-Sioule-Limagne, Véronique Pouzadoux ne veut pas imaginer une autre issue. "Imerys a toujours dit aux élus que nous sommes, que le projet Emili passerait par le train. Je vous le dis droit dans les yeux, on ne nous a jamais parlé de plan B." Estimant que le tronçon ferroviaire entre Montluçon et Gannat "est en mauvais état", l’élue attend un signe fort de la part des pouvoirs publics "car le projet du groupe Imerys a fait de cette ligne de chemin de fer un enjeu de souveraineté nationale".
À l’ouest du département de l’Allier, dans les bureaux de la cité administrative de Montluçon, le son de cloche est identique. "Cette ligne entre dans le cadre d’un plan de stratégie nationale et j’estime que c’est à l’État d’assumer pleinement la charge des travaux", indique Frédéric Laporte, maire de la ville et président de Montluçon Communauté.
Des millions d'eurosL’élu dit ne pas avoir reçu d’assurances de la part des pouvoirs publics mais refuse de croire qu’ils ne verseront pas les 80 à 100 millions d’euros nécessaires à la régénération du tronçon. "La filière du lithium est présentée comme une filière stratégique et tout cela tomberait à l’eau parce qu’on n’aurait pas fait ce qu’il faut pour aménager un bout de ligne ferroviaire. Cela deviendrait kafkaïen."
Preuve de l’enjeu, selon Frédéric Aguilera, l’aménagement de la ligne Montluçon-Gannat n’a pas été inscrit dans le Contrat de plan État-Région signé le 16 mai à Brignais, au sud de Lyon, par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez et le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu.
"Il y a deux dossiers que nous allons traiter hors CPER : les Jeux Olympiques dans les Alpes en 2030 et le projet Emili. Ce sont deux projets hors normes qui nécessitent un traitement spécifique", explique le vice-président de la région en charge des transports, qui voit là une opportunité sans précédent. Notamment pour l’étoile ferroviaire montluçonnaise que l’association Codérail (Comité de défense et de développement du rail de la région de Montluçon et du Val de Cher) considère comme "dévastée". Frédéric Aguilera évoque "un double bénéfice" pour la cité des bords du Cher "en termes d’emploi et de développement économique" mais aussi une chance de donner un nouveau souffle aux liaisons ferroviaires parmi lesquelles la ligne Bordeaux-Lyon.
Le calendrier électoralDes paroles qui ne rassurent pas forcément la CGT. Lors du débat interne organisé le 15 mai dans les locaux de l’Union départementale à Montluçon, Sarah Dupuis, membre de la CGT Cheminots, fait part de ses craintes face à Sandrine Péraud-Dégez, directrice des opérations auprès des usines du groupe Imerys : "En tant qu’agent SNCF, je circule sur la ligne entre Montluçon et Gannat. Elle est dans un état catastrophique et nous craignons à terme que le transport de fret ne soit privilégié au détriment de celui des voyageurs". Autant d’incertitudes laissant apparaître une évidence : les pouvoirs publics ont les clés d’un dossier qui pourrait subir les affres du calendrier électoral.
Calendrier : Le débat public inauguré le 12 mars à Moulins devait s’achever le 4 juillet à Gannat. Il est prolongé jusqu’au mercredi 31 juillet en raison de la campagne des élections législatives. Conformément à une décision prise en 2021, la Commission nationale du débat public fait savoir que « pendant la période de campagne électorale, il est recommandé de ne plus organiser de réunions publiques ». La CNDP indique que ce n’est pas formellement interdit mais qu’une « prudence accrue est souhaitable durant cette période où la communication d’informations pourrait avoir une incidence sur le vote des électeurs et des électrices ». Conséquence : les quatre dernières réunions prévues le 20 juin à Échassières, le 22 à Montluçon, le 26 en visioconférence et le 4 juillet à Gannat sont toutes reportées. De nouvelles dates seront communiquées dans les jours qui viennent.
Avec l'arrivée du lithium, Montluçon soigne son accueil
Martial Delecluse