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Si le RN gagne, les marchés financiers ne lui pardonneront rien, par Christopher Dembik

Le 12 juin dernier, le Sénat a dressé un bilan sans concession de la dégradation des finances publiques sous le président Emmanuel Macron. Extrait : "le manque de rigueur du programme de stabilité 2024-2027 et l’absence de projet de loi de finance rectificative démontrent l’aveuglement d’un gouvernement qui ne prend pas la mesure de l’enjeu et ne tient pas compte des alertes de son administration". Implacable. Mais il y a pire : "la dégradation non anticipée en 2023 impacte le déficit 2024, déjà revu à la hausse, et qui pourrait encore s’alourdir". Dit autrement, le déficit public sera bien plus élevé que prévu cette année… Il pourrait atteindre 5,3 % contre une prévision révisée ce printemps à 5,1 % et un objectif initial de 4,4 %. Deux raisons à cela : l’effet de base lié à un déficit plus important qu’annoncé en 2023 et surtout une très mauvaise appréciation du volet des recettes. Bon courage au prochain gouvernement !

Une lente perte de confiance

On observe depuis plusieurs trimestres une réévaluation du risque de crédit pour la France, liée à l’accroissement du déficit et à des objectifs en la matière qui ne sont ni atteignables ni crédibles. C’est un problème structurel. La Covid, souvent invoquée comme excuse, a bon dos. Conséquence : la dette de la France est perçue comme plus risquée par les investisseurs étrangers qui nous financent.

Début 2022, le spread [NDLR: écart] entre le taux d’emprunt à dix ans de la France et celui de l’Allemagne, qui mesure la perception du risque par les investisseurs à l’égard de la dette française, était de 30 points de base. Début juin, il était autour de 50 points de base. Du fait de l’incertitude politique liée à la dissolution, il a grimpé à 80 points. Il n’y a pas de raison de paniquer, pour le moment. Pour pouvoir parler de crise de la dette – risque souvent évoqué à tort dans le cadre de la campagne électorale – il faudrait que l'écart de taux monte autour de 125-150 points de base. En revanche, les investisseurs entérinent l’idée que, sur le plan budgétaire, la France va connaître un lent décrochage – déjà acté face à l’Allemagne – et en cours face aux pays ibériques. Sans plan de baisse des dépenses, notre dette publique devrait se situer autour de 115 % du PIB en 2028 contre 80 % pour le Portugal, par exemple.

Nous n’aurons pas de difficulté à nous financer – la demande sera toujours là. Mais le taux d’emprunt pourrait grimper à un niveau proche de 4 %, contre 3,1 % actuellement - ce qui change la donne en termes de marges budgétaires. Plus les taux seront élevés, plus nous aurons du mal à faire face au remboursement de la charge de la dette, et plus il sera difficile de les faire chuter ; même en mettant en œuvre des réformes structurelles.

De nombreuses pistes de réduction des dépenses

L’annonce de l’audit par le RN a été un signal important. Il traduit une prise de conscience de la contrainte budgétaire. Le résultat sera mauvais, sans surprise. Mais le nouveau gouvernement n’aura pas le luxe d’attendre plusieurs semaines avant d’annoncer un programme de baisse des dépenses. Les investisseurs attendent la France sur ce sujet. Durant la période de crise des dettes souveraines en zone euro, entre 2010 et 2013, le budget a été resserré de 0,72 % du PIB par an. Nos finances publiques sont aujourd'hui dans un état pire. L’effort devra donc être plus important.

Il est probable que la baisse des dépenses, en particulier au niveau de la superstructure étatique, soit le levier actionné en priorité afin de ne pas être complètement en porte-à-faux avec la campagne. Les pistes pour baisser le déficit sont en tout cas nombreuses :

· Supprimer une grande partie des 1 200 agences étatiques et leurs déclinaisons locales dont l’utilité est plus que douteuse et qui génèrent des dépenses de plus de 80 milliards d’euros par an.

· Systématiser les partenariats public-privé partout où c’est possible, en particulier pour la transition énergétique des collectivités et du secteur de la santé.

· Introduire trois taux de TVA : une TVA à 5,5 % sur les produits de base et l’énergie, une TVA à 25 % sur le luxe et une à 22 % sur tout le reste.

· Diminuer les dotations de l’État aux collectivités afin qu’elles baissent leurs budgets de fonctionnement. En échange, il faut desserrer l’étau qui repose sur elles, en particulier au niveau du plan climat-air-énergie territorial.

· Rationaliser la présence territoriale de l’État : supprimer les sous-préfectures là où elles ne sont pas nécessaires et fusionner les petites communes.

· Récupérer l’argent des grandes entreprises qui sont dans les paradis fiscaux. Selon le projet Missing Profits mené par l’Université de Californie, Berkeley et l’Université de Copenhague, 22 % de l’impôt sur les sociétés échappe à l’État à cause de paradis fiscaux… qui sont souvent européens, comme Chypre et Malte. Des moyens de pression diplomatiques existent

· Envisager une taxe exceptionnelle et temporaire sur les superprofits dont une partie irait directement renflouer les caisses de l’État et une autre irait alimenter les fonds de private equity qui financent les entreprises, donc l’économie réelle.

· Privatiser partiellement, par exemple la SNCF et La Poste.

· Remettre à plat l’ensemble des subventions accordées aux associations et aux partenaires en dehors de l’UE.

· Instaurer une règle d’or qui oblige toutes les administrations, à l’exception de celles relevant du régalien, à allouer 30 % du budget dans des projets visant à accroître les gains de productivité. Cela permettra d’augmenter les recettes fiscales à long terme.

En revanche, il faut avoir conscience que la plupart de ces mesures auront un effet négatif sur l’activité économique à court terme. La dépense publique a été un facteur de soutien important de la croissance du PIB au premier trimestre. Par conséquent, il est probable que l’objectif gouvernemental de croissance du PIB de 1 % cette année ne soit pas atteignable – on peut tabler plutôt sur 0,8 %.

Étant donné l’état de nos finances publiques, si le RN gagne, il n’aura pas d’autre choix que de tenir une trajectoire crédible de la dette et du déficit car les marchés financiers ne lui pardonneront rien. Autrement dit, il est contraint de réussir là où les autres ont échoué.

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