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“Les Fantômes” : Jonathan Millet traite avec justesse et complexité du sentiment d’exil

Une photo à la main, Hamid fait le tour des chantiers strasbourgeois et des centres d’accueil à la recherche de la silhouette floue et effacée d’un homme. Il ne s’agit pas d’un proche, comme nous le dévoile progressivement le scénario, mais d’Harfaz, un ancien bourreau syrien qui, sans jamais montrer son visage, a torturé des dizaines d’opposant·es au régime.

Victime d’Harfaz et membre d’une organisation secrète de citoyen·nes syrien·nes qui poursuivent les criminels de guerre, Hamid fait porter ses soupçons sur un étudiant en fac de chimie. Hanté par son bourreau, le rescapé se fait spectre à son tour et, dans un jeu de duplicité subtilement écrit, suit pas à pas le suspect dans son quotidien. La filature est momentanément interrompue par un soudain face-à-face dans un restaurant syrien, où se crée en terrain neutre un rapport de force entre deux inconnus qui tentent de savoir s’ils le sont vraiment.

Comme un mort parmi les vivant·es, Hamid observe lors de sa mission le reflet d’une vie opposée à la sienne car, contrairement à lui, le potentiel Harfaz, incarné par Tawfeek Barhom qui offre une performance remarquable, s’est parfaitement intégré à cette nouvelle vie strasbourgeoise.

Ensevelir ou enterrer

Découvert à la Semaine de la critique à Cannes, Les Fantômes traite aussi avec beaucoup d’empathie du sujet de l’exil et de toute la difficulté qu’implique l’adaptation dans un autre pays pour les réfugié·es. Alors qu’on croit par exemple à plusieurs reprises au début d’une potentielle histoire d’amour entre le protagoniste et une ancienne étudiante en médecine, réfugiée également, Jonathan Millet déjoue nos attentes en montrant les limites sociales et relationnelles que posent de tels traumatismes.

Le cinéaste fait aussi preuve d’une grande intelligence psychologique dans l’écriture de son personnage principal, interprété par Adam Bessa, qu’on avait découvert dans Harka de Lotfy Nathan et qui a su imprégner son regard de tout le poids d’un passé tragique. Car au deuil de sa famille assassinée en Syrie s’ajoute plus largement celui d’une terre natale désagrégée, dont le film se nourrit symboliquement.

Le paysage désertique en ouverture, où les victimes à demi mortes d’Harfaz sont jetées, le chantier en Belgique, où les mains d’Hamid creusent un sol de poussière et de gravats, la terre sableuse syrienne, mausolée à ciel ouvert, où durant un court séjour il enterre une photo de sa femme et de sa fille, sont autant de métaphores illustrant la grande question des Fantômes, à savoir ce que l’on fait des cendres d’un passé tragiquement détruit. Incarnant cette idée, Hamid tentera tout au long du récit de comprendre ce qu’il faut creuser, ce qu’il faut ensevelir et ce qu’il faut définitivement enterrer.

Les Fantômes de Jonathan Millet, avec Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter (Fr., All., Bel., 2024, 1 h 46). En salle le 3 juillet.

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