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Il faut protéger les mineurs trans des conservateurs (et du RN)

Têtu 

[Cet article est à retrouver dans le dossier consacré à l'histoire trans et aux luttes LGB+T du magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques ou sur abonnement] Alors que des politiques tentent d'interdire l’accompagnement médical des mineurs trans, les personnes concernées, les médecins et les associations expliquent la nécessité de ce suivi.

Fin octobre 2023, l'Espace mineur·es trans Toulouse (EM2T) organise une réunion avec des parents. Linda* et Pascal* sont venus accompagnés de leur fils, Benoît*, 11 ans et demi. Quand on le rencontre, il a commencé quelques jours plus tôt à prendre des bloqueurs de puberté dans le cadre de son suivi à l'hôpital parisien Robert-Debré. “Je me sens beaucoup mieux, confie-t-il avec un sourire jusqu’aux oreilles. On m’a expliqué les effets du traitement, et surtout on m’a vraiment écouté. Je me suis senti en sécurité.”

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Ce n'est pas au Sénat qu'il pourrait en dire autant. Un groupe de travail constitué exclusivement de sénateurs Les Républicains (LR) a remis en mars un rapport de 340 pages qui préconise notamment l'interdiction de la prescription de bloqueurs de puberté et d'hormones aux mineurs trans. Pour ce faire, 67 auditions ont été menées : des médecins, des chercheurs, des philosophes, beaucoup de représentants d'associations transphobes, très peu de parents d'enfants trans… et aucun enfant concerné. Conséquemment, une proposition de loi interdisant les traitements hormonaux (et limitant fortement l'accès aux bloqueurs de puberté) aux mineurs trans a été votée en première lecture au Sénat le 28 mai.

"La vie des jeunes trans en danger”

Même si les risques sont très faibles que cette proposition soit adoptée et promulguée, elle inquiète beaucoup les parents et les jeunes rencontrés à l'EM2T. “Si on me force à redevenir une fille, je n’aurai plus ma place dans l’univers, souffle Arthur*, 9 ans, qui a commencé sa transition sociale en 2022 et espère avoir accès aux bloqueurs de puberté. Il y a des enfants qui ne pourront plus être qui ils sont à cause d’une telle loi.” Du côté des associations, on craint que des mineurs restent dans le placard, augmentant leur mal-être. Or une étude canadienne de 2017 a confirmé le risque psychologique : sur les 323 jeunes trans de 14 à 18 ans interrogés, 65,2% avaient sérieusement considéré le suicide au cours de l'année écoulée (contre 13% des jeunes cisgenres), 36,1% avaient fait une tentative de suicide et 74,9% s'étaient automutilés. “Les sénateurs ne réalisent pas à quel point ces traitements sont nécessaires, souligne Léo*, 15 ans, suivi à Toulouse et qui devrait bientôt se voir prescrire des hormones. Si cette loi est votée, elle va mettre la vie des jeunes trans en danger.”

Mais les sénateurs de la droite ne semblent guère se soucier d'eux : ainsi préconisent-ils de “veiller au respect par l’Éducation nationale de l’état civil de l’enfant (prénom et sexe)” pour lutter contre “un phénomène inédit d’enfants et d’adolescents qui 's’identifient' trans”. Et de pointer que le nombre de mineurs de moins de 17 ans en affection longue durée (ALD, qui couvre les frais de soins médicaux à hauteur de 100%) pour transidentité est passé de 8 en 2013 à 294 en 2020 (sur 8.952 tous âges confondus). Le Dr David Cohen, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et responsable de la consultation spécialisée dédiée aux mineurs trans de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, a bien tenté lors de son audition d'expliquer aux sénateurs la réalité du terrain. “À partir du moment où notre société change sa pratique répressive pour une approche plus inclusive, il n'y a rien d'étonnant à ce que les chiffres augmentent”, analyse-­t-il auprès de têtu·. Depuis son ouverture en 2012, la consultation a reçu 239 mineurs, soit en moyenne quelques dizaines par an. Moins de la moitié bénéficie d’une prise en charge hormonale.

Certes, tous les mineurs suivis médicalement ne demandent pas d’ALD. Selon la Société française d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique (SFEDP), entre 1.200 et 1.500 mineurs ont été suivis par des endocrinologues, dont la moitié prenant des bloqueurs de puberté ou des hormones (qui ne sont pas uniquement prescrits pour des transitions de genre). Au bout du compte, les associations évaluent entre 600 et 700 les mineurs trans pris en charge en France.

Un encadrement médical essentiel

Concrètement, la majorité de ces jeunes sont accompagnés dans une des 19 consultations dédiées au sein des CHU et des Maisons des adolescents (d’autres vont prochainement ouvrir). Des recommandations pour les patients de plus de 16 ans sont en cours d’élaboration à la Haute autorité de santé (HAS) et devraient être publiées dans les prochains mois. “La question des mineurs sera ensuite étudiée”, nous informe l’autorité. “Actuellement, en France, les mineurs sont suivis dans un cadre extrêmement respectueux des règles de bonnes pratiques, souligne la Dr Christine Louis-Vahdat, chargée de ces questions à l’Ordre des médecins. Les professionnels s’appuient sur un consensus scientifique, basé sur les recommandations de l'Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes trans (WPATH) et de l'organisation internationale The Endocrine Society.”

Le suivi débute généralement par un premier rendez-vous entre le/la jeune, ses parents et un pédopsychiatre ou un psychologue, bien que ce ne soit pas obligatoire. “S’il est d’accord, nous proposons à l’enfant de le rencontrer seul pour discuter des questionnements qui peuvent concerner son identité de genre et identifier ses besoins”, détaille Myriam*, la psychologue de la consultation de l’hôpital Robert-Debré ouverte en 2013, et qui accueille des mineurs de moins de 12 ans (comme une partie des praticiens interrogés, elle a requis l'anonymat, notamment de peur d'être la cible de campagnes hostiles menées par les militants anti-trans).

“Donner des bloqueurs, c’est donner le temps aux jeunes de réfléchir.”

En fonction de l'âge du patient et de son développement, les médecins peuvent décider de prescrire des bloqueurs de puberté. À la consultation de la Pitié-Salpêtrière, seul un patient sur dix (11%) s’est vu prescrire ce traitement, à un âge médian de 13,9 ans. Un chiffre similaire à celui de la Société française d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique (SFEDP), autour de 10%. “Donner des bloqueurs, c’est donner le temps aux jeunes de réfléchir”, plaide Anaïs Perrin-Prevelle, directrice de l'association OUTrans. Outre le bien-être du mineur, l'un des bénéfices de cet accompagnement est d'éviter d'avoir besoin à l'âge adulte de certaines chirurgies, comme une torsoplastie (qui consiste à retirer le volume mammaire et à masculiniser le thorax).

Les effets des bloqueurs sont totalement réversibles : d'ailleurs, ils sont prescrits depuis plus de quarante ans pour traiter, entre autres, les pubertés précoces. “Il peut y avoir un impact sur la santé osseuse et la fertilité, précise Laëtitia Martinerie. Tout cela est discuté avec les patients.” Avant de débuter les traitements, les praticiens proposent systématiquement aux mineurs des consultations d’information sur la préservation de la fertilité. Plus tard, il est possible de se voir prescrire des hormones, qui permettent de développer des caractères sexuels secondaires (pilosité, voix, seins, etc.). “Ces traitements – en grande partie réversibles – ne sont quasiment jamais prescrits avant 15 ou 16 ans, souligne Laëtitia Martinerie. En cas d’arrêt du traitement, certains effets de la testostérone persisteront, comme la modification de la voix, la pilosité ou le développement de la pomme d'Adam, tandis que les oestrogènes peuvent avoir un impact partiellement irréversible sur la fertilité ou le développement de la poitrine.” À la consultation de la Pitié-Salpêtrière, moins de la moitié des patients (44%) ont pris des œstrogènes ou de la testostérone, à un âge médian de 16,9 ans. La majeure partie des mineurs qui ont pris des bloqueurs de puberté suivent ensuite un traitement hormonal.

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La transition médicale, c'est pas automatique

En France très peu d'opérations “esthétiques” sont autorisées avant la majorité (et toujours sous accord parental) : l'otoplastie – la correction d’oreilles décollées – est pratiquée sur les enfants dès 6 ans, et la rhinoplastie – le remodelage du nez – dès 16 ans. Dans le cadre des parcours de transition de mineurs, seules des torsoplasties sont pratiquées avant la majorité, mais restent très rares. Concernant les jeunes suivis à la Pitié, elles sont réalisées à un âge moyen de 18,4 ans, et jamais avant 16 ans. “Certaines familles pensent qu’elles auront tout de suite accès aux hormones, mais nous prenons le temps nécessaire pour comprendre les besoins des jeunes”, note Hélène*, pédopsychiatre à l'hôpital Robert-Debré à Paris. Les prises en charge se font sur le long terme, et toutes les décisions médicales sont soumises à l’accord parental. Dans le cadre hospitalier, elles sont discutées dans des réunions pluridisciplinaires composées de praticiens, de représentants d’associations ou encore de juristes. “Un dossier n’est jamais présenté alors que l’adolescent·e n’a été vu·e qu’une seule fois”, appuie Laëtitia Martinerie, endocrinologue pédiatrique à la consultation de l'hôpital Debré. À celle de la Pitié-Salpêtrière, le délai entre le premier rendez-vous et la prescription de traitements hormonaux est d’environ quatorze mois, et peut aller jusqu’à cinq ans.

La fille de Marianne* a 14 ans et s’est vu prescrire des bloqueurs de puberté il y a quelques mois. L’année précédant sa transition sociale, elle était déscolarisée, “parce que ça n’allait pas bien du tout”. “Je la voyais par terre tous les matins avant d’aller à l’école, avec d’horribles maux de ventre”, se souvient sa mère. Depuis son coming out trans, elle a été rescolarisée et genrée correctement, et depuis “ça va beaucoup mieux”. Différentes études mettent en évidence une baisse significative des troubles anxieux et du risque suicidaire chez les mineurs trans avec la prise de traitements médicaux. “Il y a vraiment un sentiment d’apaisement quand les adolescents prennent ce traitement, c’est flagrant, souligne Hélène, la pédopsychiatre de l'hôpital Debré. Ils redeviennent des ados qui peuvent s’occuper de leur scolarité.” Benoît* confirme : “Ça a marqué le commencement de moi-même. Je peux retourner à la piscine, je ne me sens plus à l’écart au collège.”

“La transition sociale est la demande la plus fréquente.”

L’hôpital n’est pas le seul lieu de suivi des jeunes. Certains consultent aussi des médecins spécialistes ou généralistes, en cabinet ou dans des plannings familiaux, souvent faute d’un service dédié près de chez eux. Du côté de l’Ordre des médecins, Christine Louis-Vahdat dit “ne pas avoir connaissance de mineurs pris en charge en ville”, mais souhaite que les bloqueurs ne soient prescrits qu'à l'hôpital. “La transidentité n’est plus considérée par l’Organisation mondiale de la santé comme une pathologie mentale, pour autant le point d’accès par défaut pour les enfants reste trop souvent les services psychiatriques des hôpitaux”, regrette au contraire Anaïs Perrin-Prevelle, qui plaide pour une prise en charge de proximité.

Mais l’accompagnement n’est pas que médical, il est aussi social, comme le montrent les chiffres de la Pitié. En juin 2022, 74% des mineurs de cette consultation avaient fait leur transition sociale au sein de leur famille, et 61% à l’école. Près d’un jeune sur deux (40%) avait même effectué une transition sociale avant le premier rendez-vous. “Bien qu’elle ne soit pas systématique, la transition sociale est la demande la plus fréquente”, confirme le Dr David Cohen. Des assistants sociaux sont d’ailleurs présents dans les consultations. “J’interviens à la demande de l’équipe ou des parents, explique Carine*, l’assistante sociale de Debré. C’est le cas lorsqu’il y a des difficultés à l’école ou pour un changement de prénom à l’état civil.” Entre démarches administratives ou accompagnement médical, pas toujours évident pour les parents de suivre le rythme. “C’est un bouleversement, reconnaissent Sandra* et Gérard*, parents d’un garçon trans de 13 ans. Sans l’aide des médecins et des associations, on ne sait pas où on en serait.”

*Les prénoms ont été modifiés.

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Crédit photo : Estelle Ruiz / Hans Lucas via AFP

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