Se maintenir pour faire barrage au RN ? "C’est parfois la meilleure solution"
Pour ces élections législatives, "faire barrage" ne relève plus de l’évidence. Malgré des désistements en nombre, l’héritage d’avril 2002 semble parfois lointain lorsque quelques jusqu'au-boutistes, dans la majorité, balaient d’un revers de main l’idée de se retirer d’une triangulaire favorable au Rassemblement national. Il y a, bien sûr, les consignes formelles des partis : à l’instar de cet aspirant Horizons, Graig Monetti qui, en vertu des propos d’Édouard Philippe ("Aucune voix ne doit se porter sur les candidats du RN ni sur ceux de LFI"), se maintiennent dans les Alpes-Maritimes ainsi que dans l’Essonne face à un Insoumis.
Il y a aussi ces députés Renaissance, pourtant invités à se désister dans le cas où "le maintien en troisième position aurait fait élire un député Rassemblement national" - dixit le Premier ministre Gabriel Attal - qui brigueront tout de même un siège. C’est le cas d’Anne Laure Petel, sortante des Bouches-du-Rhône, qui confirme son maintien, derrière un candidat d’extrême droite et du Parti socialiste. Le front républicain a cessé d’être un réflexe.
"Si je me désiste, j’offre 10 000 voix potentielles au RN"
Mais la situation, dans certaines circonscriptions, répond parfois à d’autres logiques. Et voilà que surgit un paradoxe : face au Rassemblement national, le maintien d’une troisième candidature peut faire office de barrage. "Moins il y a de triangulaires, et moins le Rassemblement national est favorisé, résume Mathieu Gallard, directeur de recherches à l’Institut Ipsos. Mais il y a effectivement des cas où les triangulaires favorisent le RN." Une question, avant tout, de report de voix.
"Dans nos études testant les seconds tours entre le Nouveau Front populaire et le RN, on constate que les électeurs Ensemble pourraient massivement s’abstenir ; ceux qui iraient voter favoriseraient un petit peu plus la gauche plutôt que l’extrême droite. Mais cet électorat n’est pas le même partout, précise-t-il. Dans les endroits plus dynamiques, comme le nord-ouest du pays, on peut imaginer qu’il se reporte mieux sur les candidatures de gauche. Dans le sud de la France confronté aux enjeux de l’immigration, ou dans les zones désindustrialisées du Nord, il est plus droitier", poursuit Mathieu Gallard.
En Macronie, certains s’emploient donc à donner à leur maintien des allures de front républicain. C’est le cas de Loïc Signor, candidat dans le Val-de-Marne, arrivé en troisième position dimanche dernier derrière Louis Boyard (LFI) et Arnaud Barbotin (Alliance LR/RN). "Je crains que mes électeurs ne fassent barrage à Boyard en votant pour le candidat d’extrême droite, dit-il à L’Express. Et il est moins dangereux d’avoir des Insoumis sans majorité à l’Assemblée, plutôt qu’un candidat d’extrême droite qui leur permettrait d’obtenir une majorité absolue." Sur X, le troisième affirmait même qu’en cas de désistement, il offrirait "10 000 voix potentielles au Rassemblement national", la totalité des voix qu’il a obtenues.
"Les macronistes en troisième position qui refusent de se désister pour LFI font plutôt Hitler que le Front Populaire", taclait lourdement Mathilde Panot, face caméra. En privé, la direction insoumise se veut bien plus nuancée. "Il n’y a pas toujours intérêt à pousser au désistement du candidat macroniste, au risque de provoquer la constitution d’un front anti-LFI. Chez Boyard par exemple, ça fige l’électorat, analyse un cadre. Dans le cas où l’on est en tête, le RN deuxième et le macroniste troisième, on a de fortes chances de gagner." Dans le bloc central, un candidat arrivé troisième et qui maintient sa candidature face à LFI et au RN se veut lucide : "Je crois que me retirer apportera plus de voix au RN qu’aux Insoumis."
"On garde ainsi les électeurs au bercail"
Les retraits peuvent-ils être des cadeaux empoisonnés ? Moins de mille voix séparent Gérald Darmanin de Bastien Verbrugghe, le candidat du Rassemblement national. "Parce que je crois que l’extrême droite est aux antipodes de ces valeurs, je veux vous appeler ici et sans ambiguïté à ne pas voter [pour le RN]", a exhorté dans un communiqué la candidate mélenchoniste Leslie Mortreux, qui, à la veille de la date limite, a retiré sa candidature. "Je les soupçonne de retirer la candidate pour nuire à Darmanin", pique une ministre. Et d’ajouter : "Il y a pleins de circonscriptions où l’on ne devrait pas être heureux que la gauche se désiste."
François Hollande dira-t-il merci à ses meilleurs ennemis, Les Républicains ? En Corrèze, l’ancien président de la République est en ballotage favorable, en tête de la triangulaire réunissant Maïtey Pouget (RN), et Francis Dubois, (LR). Ce dernier s’est maintenu. "Nous serons présents au second tour car nous sommes la seule droite capable de battre Francis Hollande, le candidat du Nouveau Front populaire", a-t-il argué sur X, estimant que l’ancien chef de l’État ne disposait plus de réserves de voix.
"Si Francis Dubois se désiste, 3/4 de ses électeurs partent au Rassemblement national", croit savoir une huile de droite. Une intuition confirmée, d’après une étude Odoxa-Backbone pour Le Figaro, indiquant que les sympathisants LR se rabattraient majoritairement (48 %) vers un candidat RN dans le cadre d’un duel contre l’alliance de gauche. "Le maintien est parfois le meilleur barrage aux extrêmes, on garde ainsi les électeurs au bercail", dit ce même interlocuteur. Sur les réseaux sociaux, quelques heures avant la clôture du dépôt de candidatures, Éric Ciotti a appelé le député sortant LR à se retirer, en vain. "Il faut appeler à voter pour la candidate de la coalition d’union nationale, la seule qui peut envoyer François Hollande à la retraite." À chacun son barrage.