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"Plutôt mourir" : en Israël, la résistance des juifs orthodoxes contre le service militaire

Avec sa barbe et ses longues papillotes, Avrumi Linsche pose chaque jour en uniforme de Tsahal sur les réseaux sociaux. Une façon d’inciter ses congénères à suivre son exemple, à briser le grand tabou du monde orthodoxe : servir dans l’armée israélienne. "En tant que partie intégrante du peuple juif, nous devons prendre notre part dans la guerre. Je sais que certains craignent que les laïques ne nous asphyxient avec l’aide de la Cour suprême, qu’ils cherchent à nous changer. Mais, à mon avis, il faut ignorer ces polémiques vides de sens et faire notre devoir", écrivait cette semaine ce robuste trentenaire, doté d’une belle éloquence et familier des plateaux de télévision. Avrumi Linsche incarne l’exception, un orthodoxe dans Tsahal, et son message se heurte à l’hostilité résolue des rabbins.

Alors que la Cour suprême israélienne vient d’exiger pour la première fois l’enrôlement d’au moins 3 000 orthodoxes, les manifestations des jeunes de cette communauté religieuse se multiplient à travers le pays. "Plutôt mourir que de s’engager", scandent les protestataires. Bloquant les routes et affrontant parfois violemment les forces de l’ordre, les jeunes orthodoxes défient ouvertement le gouvernement israélien et menacent l’équilibre de la coalition.

Limiter au strict minimum les contacts avec le monde laïque

Avrumi Linsche a vécu dans sa chair ce rejet radical de la conscription chez les orthodoxes. Issu d’une famille nombreuse membre de la communauté hassidique de Gour, l’un des grands courants des hommes en noir, il a choisi de s’engager peu après ses 18 ans. Une démarche sacrilège dans un milieu où une tradition remontant aux ghettos d’Europe de l’Est veut que les jeunes hommes vouent leur existence à l’étude de la Torah et limitent au strict minimum les contacts avec le monde laïque.

Aujourd’hui comme hier, les rebelles s’excluent eux-mêmes de la communauté. "Mes parents m’ont demandé de quitter la maison, parce qu’ils ne voulaient pas que j’aie une mauvaise influence sur mes frères, témoigne Avrumi Linsche. Exactement comme si j’avais vendu de la drogue. Pour eux, je risquais de les entraîner sur le mauvais chemin."

Mis à la porte du domicile familial, il a trouvé asile dans un foyer destiné aux jeunes orthodoxes engagés dans Tsahal. "Les réticences envers l’armée restent très fortes. Le monde orthodoxe n’a jamais reconnu la légitimité de l’Etat d’Israël et, pour lui, l’armée corrompt ses enfants. [Ses membres] n’hésitent pas à rompre avec eux, autant pour éviter une contagion que pour protéger leur réputation", explique Aharon Granot, directeur de l’association Osey Chail, qui gère des foyers d’accueil de jeunes orthodoxes.

Un régime d’exception depuis la création de l’Etat d’Israël

Vénérée par l’immense majorité des autres juifs israéliens, Tsahal reste un objet de méfiance pour les orthodoxes, automatiquement dispensés de service militaire. L’arrangement remonte aux origines de l’Etat d’Israël. Pour se concilier les bonnes grâces des rabbins orthodoxes – antisionistes par principe, car convaincus que l’arrivée du Messie doit précéder la restauration d’une souveraineté juive sur la terre d’Israël –, David Ben Gourion, fondateur de l’Etat hébreu, cède à leurs exigences.

Un statu quo s’instaure : les rabbins mettront leur antisionisme en sourdine et l’Etat leur accordera subventions et les dispensera de service militaire. "A l’époque de Ben Gourion, les étudiants des yeshivas [NDLR : les académies talmudiques] étaient seulement quelques centaines. Ils sont aujourd’hui 70 000. L’enjeu est complètement différent, surtout en période de guerre. Depuis le 7 octobre, le ras-le-bol de la société grandit face au refus des orthodoxes de servir dans l’armée", explique Daniel Haïk, ancien rédacteur en chef de l’édition française du journal orthodoxe Hamodia, aujourd’hui analyste pour la chaîne internationale I24 News.

En avril dernier, cette exaspération atteint des sommets quand le grand rabbin séfarade Yitzhak Yosef déclare : "Si l'on nous force à entrer dans l’armée, nous partirons tous à l’étranger. Nous achèterons un aller simple et nous irons là-bas." "Des propos scandaleux, contraires à l’esprit et à la lettre de la Torah", s’étrangle le rabbin Eliahou Zini, représentant du courant religieux sioniste, favorable à la conscription. Quant aux laïques, ils s’indignent que les orthodoxes, généreusement abreuvés de subventions publiques, refusent le "partage du fardeau".

Un danger pour la survie du gouvernement Netanyahou

"J’entends cette colère", concède Rivka Ravitz, juive orthodoxe, mère de 12 enfants et qui fut directrice de cabinet de Reuven Rivlin, président de 2014 à 2021. "Lorsque je parle avec mes amis laïques dont les enfants se trouvent au front, je me sens forcément gênée. Mais il faut nous comprendre. Pour nous, l’armée est une machine à laïciser nos enfants. Nous ne voulons pas les fondre dans le melting-pot israélien. Nous sommes capables de servir d’une autre manière, comme dans les organisations de charité ou les services de secours."

Pour favoriser la conscription des orthodoxes, Tsahal a bien tenté de s’adapter en créant des unités sans femmes, respectant strictement les lois alimentaires juives et les horaires des prières. Mais elles n’attirent qu’une poignée d’individus. "Tant que les rabbins ne donneront pas leur feu vert à l’enrôlement dans Tsahal, rien ne bougera. Car ce sont eux qui décident de tout dans le monde orthodoxe", affirme le journaliste Daniel Haïk.

Face au rejet quasi unanime de la décision de la Cour suprême par les orthodoxes, le camp laïque n’entend pas céder. L’opposition parlementaire réclame des mesures coercitives et la suppression de subventions aux yeshivas. Une partie significative du Likoud de Benyamin Netanyahou lui emboîte le pas. Yuli Edelstein, un des principaux lieutenants du Premier ministre, lui a fait part de sa détermination lors d’une conversation orageuse. Face à la menace d’un enrôlement forcé, les partis orthodoxes, alliés indispensables de Netanyahou, menacent de quitter la coalition. En pleine guerre, la chute du gouvernement aurait des conséquences incalculables.

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