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Résistant, avocat de renom, homme d’État, Roland Dumas était resté fidèle à ses racines en Limousin

Roland Dumas s’est éteint ce mercredi 3 juillet, à l’âge de 101 ans, à Paris. Homme d'État, ami et ministre de François Mitterrand, il aura tout connu, le pouvoir, l’argent, les femmes, mais aussi la chute avec le procès Elf.

Fidèle à ses racines, Roland Dumas est venu pendant longtemps, chaque année depuis 1945, sur la tombe de son père qu’il admirait tant. Dans ses mémoires, Le fil et la pelote, il raconte son enfance limougeaude où il est né, ses études à l’école du Canadier, aujourd’hui l’école Jules-Ferry. « Tu ne me la rases pas, glissa-t-il un jour discrètement à un Alain Rodet, maire d’alors de Limoges, un peu surpris, qui n’en avait jamais eu l’intention.

« Un bonheur inégalé »

De son enfance limougeaude, Roland Dumas conservait le sentiment d’un « bonheur inégalé », brutalement interrompu par la défaite de 1940, puis par l’Occupation. En 1941, le futur avocat s’inscrit à la faculté de droit de Lyon. L’étudiant est déjà politisé. Il participe à une manifestation anti-allemande. Arrestation, internement politique durant plusieurs semaines, évasion.

Roland Dumas refuse de partir au STO (Service de travail obligatoire). Il entre en résistance, devient l’adjoint de son père, membre du parti socialiste clandestin et de l’Armée secrète. Mais le fils ne sera pas à Limoges lorsque tombe son père. Georges Dumas est arrêté par la Gestapo dans la nuit du 24 au 25 mars 1944 et exécuté le lendemain à Brantôme (Dordogne).

L'avocat et le politique

C’est la fin de la guerre. Place à un autre Roland Dumas. L’avocat, l’un des meilleurs de sa génération. Brillantissime, charmeur, incisif et engagé. Avocat du résistant Georges Guingouin, victime d’une chasse aux sorcières, avocat des membres du réseau Jeanson en lutte contre la guerre en Algérie, avocat du Canard Enchaîné aux prises avec l’espionnage d’État. Avocat également – on le sait moins - et ami de grands artistes et intellectuels comme Pablo Picasso, Jacques Lacan, Jean Genet…

Et il y a aussi, encore, un autre Roland Dumas. Le politique. Tout aussi célèbre, mais qui ne peut se résumer au seul fidèle de François Mitterrand.

« Je suis venu à la politique active un peu par désir, un peu par hasard, l’un entraînant l’autre, écrira-t-il. Mais c’est dans le cercle familial, là où apparaissent les premières réflexions, les premières découvertes, que les choses ont mûri. Je sais en effet d’où je viens. »

Homme de gauche, Roland Dumas l’a toujours été. « Mon adolescence a été bercée par le chant des luttes ouvrières, l’évocation des terribles luttes de 1905 », écrivait-il encore. Mais il entend s’écarter d’une certaine gauche conformiste ayant renié ses principes. Ses premiers engagements électoraux se feront donc en marge de la vieille SFIO.

En 2004, réception pour l'anniversaire de Georges-Emmanuel Clancier. Archives Centre France - C. .Daumerie / Michel Coussy

Député de la Haute-Vienne

À Limoges, dans les années cinquante, Roland Dumas choisit de soutenir Gaston Charlet, avocat et fondateur de l’éphémère parti socialiste indépendant, ancêtre du futur PSU. En 1956, à la tête d’une liste soutenue par l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance) présidée par François Mitterrand, Roland Dumas est élu député de la Haute-Vienne.

« Je ne cachais pas ma fierté, avoue-t-il dans ses mémoires, d’avoir réussi cette percée grâce à une liste pirate qui allait d’une clientèle communiste en rupture de ban, aux socialistes dissidents, à quelques poujadistes en révolte, à des francs-maçons et des syndicalistes. »

Ce succès est déterminant pour les futures relations entre le nouveau député et le chef de file de l’UDSR. Il est en tout cas à l’origine de ce que Roland Dumas qualifie de « vraie première rencontre » avec François Mitterrand. Deux ans plus tard, emporté par la vague gaulliste, il doit abandonner son siège.

Un très proche de François Mitterrand

Par deux fois, Roland Dumas, qui n’en demeure pas moins avocat, va retrouver le Palais Bourbon. En Corrèze, à Brive tout d’abord, en 1967. Roland Dumas est soutenu par François Mitterrand en personne. Mais encore une fois, il ne peut résister au raz de marée de la droite de 1968.

Roland Dumas est désormais un très proche de François Mitterrand, lequel accepte d’être le parrain de son troisième enfant.

Tout les rapproche : le combat politique, leur immense culture, leur sens de la fidélité, leur goût du secret, leur inextinguible appétence pour la gent féminine. Ils sont voisins rue de Bièvre à Paris. Ses adversaires ont parfois mis en cause cette proximité :

Mitterrand a deux avocats, Badinter pour le droit, Dumas pour le tordu.

Arrive le 10 mai 1981. Sur la photo – historique – du cortège accompagnant le nouveau président de la République vers le Panthéon, Roland Dumas est au centre, bien visible avec son costume clair. L’installation ensuite à l’Élysée est presque surréaliste. « Le palais était vide, ils avaient tout emporté. On visitait, regardait dans les tiroirs. Il n’y avait plus rien », nous racontera-t-il plus tard.

Et revoilà le Dumas parlementaire, en Dordogne cette fois. Élu en juin 1981, réélu en 1986. C’est l’heure d’accéder au statut d’homme d’État ; pas encore ministre, mais conseiller et homme d’influence, il est notamment émissaire spécial auprès du colonel Kadhafi.

En décembre 1983, le Limougeaud est nommé ministre des Affaires européennes, puis ministre des Relations extérieures. À la suite de la réélection de François Mitterrand, il revient au Quai d’Orsay où il reste durant cinq ans. Une sorte de revanche pour l’ancien étudiant qui avait espéré en vain devenir diplomate.

Une fin de carrière ternie par l’affaire Elf

En 1995, Roland Dumas est nommé président du Conseil constitutionnel. La fin de sa carrière est ternie par le dossier Elf et sa mise en cause dans l’affaire Christine Deviers-Joncour. Il sera finalement relaxé.

« Aussi irritant qu’attachant, et surtout extrêmement brillant », dira-t-on de lui dans son cercle limougeaud où l’on reconnaît cependant quelques défauts au personnage, ou du moins une certaine complexité. Amateur d’art, amateur de femmes, Roland Dumas était aussi à ses heures un personnage sulfureux, un collectionneur passionné de petites phrases et de propos polémiques. En Côte d’Ivoire, il soutient aux côtés de Jacques Vergès un Laurent Gbagbo accroché à son fauteuil présidentiel et refusant de reconnaître sa défaite. En Lybie, il accuse Nicolas Sarkozy de « crimes contre l’humanité ». Sur un plateau de télévision, un soir de décembre 2010, il fait part de ses doutes sur la version officielle du 11 septembre…

Le temps a passé, Roland Dumas s’en est allé avec ses contradictions. Seul face à la mort, dont il abordait la perspective avec lucidité et fatalisme. Devant le cénotaphe de Vasco de Gama, rapporte le quotidien Libération, il cita à Mitterrand ces vers de Machado : « Et quand viendra le jour de l’ultime voyage/Quand le navire qui ne doit jamais revenir sera sur le point de partir/Vous me trouverez à bord, léger de tout bagage/Presque nu, comme les fils de la mer. »

 

Florence Clavaud-Parant

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