Commerce, immobilier, embauches… Le climat des affaires plombé par l’incertitude politique
Emmanuel Macron a climatisé le stade. L’expression consacrée lorsqu’un joueur de foot marque un but décisif face à un public acquis à l’équipe adverse s’applique assez bien aux effets de la dissolution de l’Assemblée nationale sur la marche des affaires en France… Une fois passées la surprise, l’incompréhension, la colère, quelle attitude adopter quand monte une inquiétude grandissante sur la conduite du pays, sa politique économique, sa fiscalité, sa mécanique institutionnelle ?
Baromètre le plus visible, le comportement des investisseurs a été immédiatement scruté. L’indice CAC 40 a rapidement perdu toute l’avance engrangée depuis le début de l’année, et n’a pas vraiment redressé la barre depuis, malgré un rebond post-premier tour. L’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne s’est dégradé, signe de la défiance des créanciers envers la dette française. Mais pas de panique non plus. "On n’observe pas de sell off [NDLR : ventes massives] des investisseurs. Leur état d’esprit est plutôt de se dire que si le marché devait être volatil, ce serait une opportunité d’achat, indique Vincent Marioni, directeur des investissements crédit chez Allianz Global Investors. Les Américains sont davantage concentrés sur ce qu’il se passe chez eux. Vu des Etats-Unis, la France est un petit pays."
"On lève le crayon"
Ce qui n’empêche pas ces gérants d’actifs internationaux de partir à la pêche aux infos pour prendre les bonnes décisions. "Depuis la baisse de la note de la France par S & P puis l’annonce de la dissolution, je n’ai jamais été autant sollicité dans un temps aussi court, s’étonne un économiste passé par les ministères dans une autre vie. Mes interlocuteurs étrangers cherchent une compréhension plus fine du paysage politique tricolore. Ils m’interrogent sur le marché domestique de l’énergie, la nationalisation potentielle des autoroutes…".
Au rayon des fusions-acquisitions, on se pose également des questions, et on temporise. "A la peur artificiellement entretenue de l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon au pouvoir a succédé le soulagement que ce soit le RN qui émerge : cela a détendu les angoisses, constate un banquier de la place. Vu d’ailleurs, le parti de Jordan Bardella apparaît comme un moindre mal. Après tout, la France est frappée par le populisme comme d’autres pays européens avant elle : les Pays-Bas, l’Italie…". En attendant de voir comment le vent tournera, "on lève le crayon", reconnaît ce financier, ajoutant avec facétie : "le seul qui, au contraire, accélère le mouvement, c’est Vincent Bolloré [NDLR : l’introduction en Bourse de Havas a été annoncée entre fin 2024 et début 2025 par Yannick Bolloré dans Le Figaro]. Un signe de confiance sur les années qui viennent ?". Les dirigeants des grands groupes cherchent plutôt à se rassurer, estimant qu’un gouvernement tenté par d’aventureuses mesures n’aurait pas les moyens d’agir à sa guise. Que l’Europe sera là pour limiter la casse. Que les marchés, in fine, serviront de garde-fous.
Moral en berne dans le commerce
Chez les patrons de TPE, l’ambiance se fait plus pesante. Selon les données du cabinet d’experts Fiducial, le niveau d’optimisme des petits entrepreneurs concernant le climat général des affaires a reculé de 8 points au mois de juin, à 24 %. Paradoxalement, leur sentiment à l’égard de leur propre activité s’améliore. Quand les nuages s’amoncellent sur le pays, on relativise sa situation personnelle, justifie-t-on chez Fiducial. Mais si l’on regarde dans le détail, le moral des petits patrons du commerce s’effondre, en baisse de 19 points par rapport au premier trimestre.
Dans le secteur de la mode en particulier, les derniers événements politiques renforcent des tendances déjà défavorables. "La consommation n’était pas bien orientée, en recul de 2 % sur les cinq premiers mois selon l’IFM Panel, qui se fonde sur les remontées des chiffres des distributeurs", note Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode. Les commerçants ont souffert du froid en avril, de la pluie en mai… Les scrutins de juin sont le coup de grâce. "D’une manière générale, les temps consacrés aux élections ne sont pas favorables à la consommation : en ce moment, on est servis", soupire l’économiste.
L’immobilier en pause
Même constat dans l’immobilier où la timide reprise du marché marque à nouveau le pas. "La clientèle internationale s’est complètement mise en pause, constate Yann Jéhanno, le président du réseau Laforêt. Au soir de la dissolution, une acheteuse suisse qui était sur le point de signer un compromis pour deux appartements à Paris, un pour elle et un pour sa mère, nous a appelés pour dire qu’elle ajournait tout." Quant à la clientèle française, il y a celle déjà engagée, que les agents immobiliers essaient tant bien que mal de tranquilliser. Et celle en phase de prospection, qui estime urgent d’attendre ce que le futur gouvernement proposera en matière de fiscalité ou de réglementation. Car dans la pierre, pour le coup, les annonces tonitruantes se sont multipliées.
La majorité présidentielle promet la suppression des frais de notaire sur les transactions inférieures à 250 000 euros pour les primo-accédants. Le Rassemblement national parle d’abroger les interdictions de vente ou de location liées au diagnostic de performance énergétique. Quant au Nouveau Front populaire, il veut interdire les expulsions locatives pour impayés si elles ne sont pas assorties d’une proposition de relogement. Propriétaires et locataires, actuels ou futurs, personne ne sait plus sur quel pied danser. "Le logement était le grand absent du débat public depuis des années. Là, subitement, chacun y va de sa mesure clivante, poursuit Yann Jéhanno. Dans un tel contexte, il y a peu de chance que le marché reparte avant septembre, au mieux."
Coup de froid sur les embauches
Les employeurs, eux aussi, ont mis la pédale douce. Hormis une stagnation en mars, "la tendance dans les projets d’embauche depuis le début de l’année était positive", note David Beaurepaire, directeur délégué de la plateforme de recrutement Hellowork, premier acteur privé en France. Le mois de juin acte une rupture, avec un volume d’offres en recul de 5,5 % par rapport à juin 2023. "Un écart de 50 000 annonces, ce n’est pas anodin", remarque-t-il, précisant que sur la dernière semaine du mois, la baisse est encore plus franche, à - 12 %. Ce sont les CDD, et dans une moindre mesure l’intérim, des contrats souvent utilisés comme des variables d’ajustement, qui sont les plus touchés par ce refroidissement. "Du côté des candidats, ceux qui sont en poste préfèrent reporter leurs intentions de postuler ailleurs, ajoute David Beaurepaire. Tout le monde est dans le brouillard." Et rien ne dit que les résultats de dimanche soir permettront d’y voir plus clair.