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Foucault lecteur de Nietzsche

On sait que Michel Foucault a été, très tôt, un grand lecteur de l’œuvre de Nietzsche. On en trouve la trace dans de nombreuses conférences, des articles, des notes et des fiches manuscrites ; c’est aussi l’objet du cours en quatre leçons que le philosophe a donné à l’Université de Vincennes durant l’année 1969-1970. Pour autant, ces études n’ont pas toujours été intégrées dans les ouvrages publiés du vivant de Foucault. Afin d’en donner un aperçu le plus complet possible, le comité éditorial dirigé par Bernard E. Harcourt et sous la responsabilité de François Ewald a consigné ces différents textes dans un volume intitulé Nietzsche. Cours, conférences et travaux.

L’ensemble est accompagné d’un travail d’édition considérable. Le choix des textes (cours mais aussi travaux particuliers et conférences) ainsi que les règles qui ont présidé à leur établissement sont spécifiés par les éditeurs ; les notes explicatives qui jalonnent les textes précisent le sens et le contexte des propos du philosophe ainsi que les références aux ouvrages de Nietzsche consultés et commentés ; enfin, Bernard E. Harcourt propose en fin de parcours un brillant essai intitulé « Situation », qui aborde notamment les questions délicates de la réception de Nietzsche en France et de sa lecture particulière par Foucault (en lien avec sa lecture de Heidegger, autour de 1951).

Les premiers cours : histoire et connaissance

Les premières leçons du cours donné à Vincennes se présentent sous forme de notes, dont la compréhension peut être facilitée par la lecture parallèle des textes de Nietzsche alors commentés par Foucault.

Ce dernier commence par une sorte d’explication de texte confrontant deux paragraphes de La Généalogie de la morale puis les propos de la deuxième « Considération inactuelle » sur le thème de l’histoire. L’auditeur ou le lecteur de ce cours suit alors un cursus qui le conduit de notion en notion, affrontant sans les négliger les difficultés des textes nietzschéens.  L’un des enjeux principaux de cette lecture consiste à faire échapper l’histoire à la téléologie et à la totalisation. En ce sens, l’analyse de Foucault doit être replacée dans le contexte des discussions de l’époque, polarisées autour des philosophies de l’histoire de Hegel et de Marx.

Chez Nietzsche, il convient de distinguer « histoire » et « devenir », de même qu’il convient de différencier trois formes d’histoire : l’histoire monumentale, l’histoire antiquaire et l’histoire critique. Nietzsche promeut une perspective généalogique qui implique d’étudier la « genèse » des événements historiques, c’est-à-dire non pas leur origine nécessaire mais les circonstances contingentes de leur avènement.

La deuxième leçon du cours de Foucault s’attache pour sa part à l’étude des notions de connaissance, de vérité et de science. Selon Nietzsche, la science est une invention humaine. La concevoir ainsi suppose de renoncer à en trouver les méthodes dans un intellect divin, par exemple, ou de la viser comme un idéal déjà formé, prêt à se saisir de n’importe quel objet. Ainsi, Foucault inscrit la pensée de Nietzsche dans son opposition avec celle d’autres philosophes, à commencer par Platon et Aristote (puisque la science n’est pas le désir humain le plus décisif) ou Kant (puisqu’elle n’est pas une forme a priori).

Cependant, l’ensemble du cours ne se résume pas à un exposé de la doctrine de Nietzsche. Au contact des textes, Foucault se forge progressivement tout un appareil conceptuel qui prendra corps de manière originale dans les ouvrages qu’il rédigera au cours des années suivantes.

Conférences et travaux divers

Les réflexions de Nietzsche sur le thème de la connaissance et de la science ont continué d’intéresser Foucault au-delà du cours à l’Université de Vincennes. La conférence qu’il donne à l’Université McGill à Montréal en avril 1971 en témoigne. Sa lecture, dans une forme plus largement rédigée, permet de prolonger les analyses du cours, d’en donner des formulations plus porteuses et d’en préciser certains aspects.

Foucault y explore les thèses les plus provocatrices de Nietzsche sur cette question : non seulement la connaissance n’est pas inscrite dans la nature humaine mais elle trouve même son fondement dans un espace de jeu où il est question de tout autre chose qu’elle (les instincts, le doute, voire l’erreur) ; le monde et les choses qui le constituent ne sont pas faits pour être vus ou connus et n’ont pas de sens caché qu’il faudrait déchiffrer.

Et Foucault de rendre compte des conséquences de ces propos. En particulier, il développe les enjeux d’une telle dissociation de la connaissance et de la vérité, dont le lien a constitué le cœur de tout l’édifice métaphysique traditionnel. Les annexes permettent à cet égard d’affiner certaines critiques nietzschéennes, telles que le rapport sujet-objet dans les théories de la connaissance, la configuration de la pensée (toujours posée comme un fait), la part de la logique dans les propos habituels sur la vérité — à laquelle Nietzsche substitue l’importance de l’interprétation.

Dans d'autres travaux rédigés par Foucault (fiches préparatoires, projets d’articles, essais, etc.), le philosophe revient sur certaines notions nietzschéennes classiques telles que l'origine et le commencement ou le vouloir et la volonté. Un rapprochement entre Nietzsche et Spinoza donne lieu à un exposé central sur ce qui caractérise notre culture depuis la fin du Moyen-Âge ; un autre entre Nietzsche et Hegel renoue avec les réflexions sur l'histoire grâce à l'étude de la notion de « répétition ».

Au total, ce volume permet de se familiariser avec la pensée de Nietzsche, guidé par les explications de l'un de ses plus brillants lecteurs, mais surtout de mesurer tout ce que la pensée propre de Foucault, formalisée dans ses ouvrages, doit à l'étude de ce philosophe.

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