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Pourquoi il faut absolument simplifier notre orthographe, par Franck Ramus

Le Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) a travaillé sur un rapport intitulé "Rationaliser l’orthographe du franҫais pour mieux l’enseigner". Pourquoi une telle initiative ? Comme le documente amplement ce travail, les complexités inutiles de notre orthographe entravent la bonne acquisition de la lecture et de l’écriture, et donc entravent aussi l’accès à la littérature et aux apprentissages scolaires. Comparés à nos voisins espagnols ou finlandais, les élèves français gaspillent un temps considérable à tenter de maîtriser les curiosités arbitraires de notre orthographe, un temps que les autres consacrent à des apprentissages bien plus utiles. En plus de ralentir tous les élèves, cette complexité exacerbe aussi les difficultés des élèves dyslexiques.

De plus, l’orthographe est devenue un vecteur de discrimination injuste, et ce en partie à dessein. Personne ne l’a dit aussi clairement que l’académicien François Eudes de Mézeray dès 1673 : l’orthographe "distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes" (sic). A quoi on a beau jeu de rétorquer selon l’adage que "l’orthographe est la science des ânes". En tout cas, c’est un système trop arbitraire, trop incohérent et trop creux intellectuellement pour être une base légitime de sélection scolaire ou d’un quelconque jugement sur les mérites d’une personne.

Comme à chaque fois que l’on ose contester ce totem bien français qu’est l’orthographe, on peut s’attendre à une avalanche de réactions outrées. Les défenseurs du statu quo ne manquent pas d’arguments pour justifier la mise sous cloche de l’orthographe française. Pourtant, la plupart de ces arguments sont fallacieux ou reposent sur des mythes. Passons-en quelques-uns en revue.

"L’orthographe reflète l’étymologie et l’histoire de notre langue." L’histoire de la langue est un sujet extrêmement intéressant, qui devrait d’ailleurs être plus systématiquement enseigné. Cela peut être fait par la comparaison explicite de notre langue contemporaine avec ses versions antérieures, et avec les autres langues vivantes et anciennes. Mais cela n’implique pas de conserver éternellement dans notre orthographe tous les fossiles des langues anciennes. Les Espagnols, les Russes et bien d’autres ont épuré leur orthographe de toutes ces traces, et pour autant leur civilisation ne s’est pas effondrée, et ils peuvent toujours étudier l’histoire de leur langue.

"L’orthographe reflète la grammaire de notre langue, une simplification effacerait des distinctions grammaticales importantes." En fait, ces distinctions n’existent déjà plus dans la langue, c’est-à-dire dans le français parlé. Elles ne nous manquent pas pour autant.

Difficile aujourd’hui de lire la version originale de Corneille ou de Molière

"L’orthographe permet de distinguer les homophones." Certes. Mais la langue orale ne les distingue pas, et néanmoins le contexte nous permet de comprendre sans difficulté nos interlocuteurs. Une écriture totalement phonétique ne serait pas plus difficile à comprendre que la langue parlée.

"On ne pourrait plus lire les classiques dans leur orthographe originale." Ce n’est plus le cas depuis longtemps. Vous lisez déjà La Fontaine, Molière et Corneille en orthographe modernisée, car il serait trop difficile de les lire dans leur graphie originale. Cela ne vous empêche visiblement pas de les apprécier.

"Dans le temps, tous les élèves savaient écrire correctement le français. Si ce n’est plus le cas, c’est la faute d’un enseignement défaillant." Comme souvent, les souvenirs du "bon vieux temps" sont faux. Le rapport du CSEN, se basant sur des données objectives, établit au contraire que l’orthographe du français a posé problème aux élèves à toutes les époques. Sa maîtrise a sans aucun doute baissé au cours des dernières décennies, mais c’est simplement du fait que de moins en moins de temps est consacré à l’enseigner.

"Simplifier l’orthographe, ce serait baisser le niveau d’exigence scolaire." Le niveau d’exigence des programmes scolaires n’est pas une fin en soi, mais un moyen en vue d’un but : acquérir les connaissances et compétences indispensables à tout citoyen. Si les élèves français pouvaient perdre moins de temps à apprendre les incongruités de notre orthographe, ils pourraient en passer plus sur les apprentissages vraiment importants : la littérature, les mathématiques, les sciences, l’histoire et la géographie, etc.

"Un mot sur deux a changé d’orthographe depuis 1694 !"

"L’orthographe est une difficulté utile pour la formation d’un esprit rigoureux." Les matières scolaires comme les mathématiques ou les sciences concourent à cet objectif bien mieux qu’une orthographe incohérente dont les difficultés ne sont à maîtriser que pour elles-mêmes.

"On ne peut pas légiférer sur la langue." Effectivement, tous les linguistes s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas d’autorité supérieure définissant la langue : le français, c’est la langue que parlent les Français, telle qu’ils la parlent et l’écrivent. En revanche, l’orthographe est une transcription conventionnelle de la langue, et comme toute convention, il est utile qu’une autorité assure que tout le monde utilise la même.

"Vous voulez effacer la beauté et la richesse de la langue française." Il s’agit encore d’une confusion entre la langue et l’orthographe. Le français oral comme écrit est beau et riche, et le restera. Son orthographe, en revanche n’en est qu’une transcription. L’opacité de l’orthographe ne rend pas la langue plus belle, elle rend juste sa lecture et son écriture plus difficile. Comme le disait Voltaire il y a près de trois siècles : "L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est".

"L’orthographe française est notre héritage immuable, il ne serait ni souhaitable ni faisable de la modifier." Pourtant, cela a déjà été fait de nombreuses fois, notamment en 1740, 1762, 1878, 1900, 1935, 1976… De fait, un mot sur deux a changé d’orthographe depuis le premier dictionnaire de l’Académie en 1694 !

Il y aurait clairement des difficultés pratiques de mise en œuvre, des coûts d’adaptation et de réimpression, et une période de transition. Mais le seul obstacle véritable est le conservatisme de tous ceux pour qui l’habitude a acquis force de loi, et qui rationalisent leur habitude en entretenant les mythes ci-dessus. Si l’on peut reprocher une chose au rapport du CSEN, c’est que la rationalisation proposée est encore bien timide. Mon avis personnel est que, quitte à rationaliser l’orthographe, autant le faire jusqu’au bout et la rendre totalement phonétique, pour maximiser la facilité à l’apprendre, la lire et l’écrire.

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