World News in French

Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Yves Bourdillon

Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Yves Bourdillon est écrivain et journaliste au service international du quotidien Les Échos.

 

Comment définissez-vous le libéralisme ? 

C’est une doctrine de droit et de morale issue de l’alliage quasi miraculeux entre Rome, Athènes et Jérusalem, dont on pourrait résumer le principe essentiel par « tu t’appartiens, sans être seul pour autant ».

Tu t’appartiens, en ce sens qu’on part du principe que chaque individu est souverain et responsable de son corps, de ses choix de vie, dans le succès comme dans l’échec, de son travail et de ses biens. C’est, au fond, toi qui « pilote » et « signe » ta vie et lui donne un style.

Le libéralisme mise (et comme tous les paris, il ne marche pas pour tout le monde mais « la liberté est un risque à courir, c’est même le seul qui en vaille la peine ») sur le fait que chacun est le mieux placé pour savoir ce qui est bon pour lui et prendre ses décisions en matière de métier, partenaire, convictions, coutumes, loisirs, épargne, opinions, activités commerciales ou professionnelles, religion ou nationalité, sans avoir à demander l’autorisation à sa famille, sa tribu, son pays, son clergé, même s’ils peuvent, légitimement, l’inspirer par ailleurs.

Chacun est, par essence, le taulier de son destin, un être unique, concret, confronté à des choix qui le sont tout autant, pas une abstraction comme le sous-entendent ces « progressistes », sous la plupart desquels sommeillent un prêtre et un gendarme, qui défendent « les masses », comme s’ils parlaient d’une gelée indifférenciée. Et le libéralisme constate, car c’est une doctrine pragmatique fondée sur l’observation et non pas l’esprit de système, que les pays qui le pratiquent sont presque toujours plus prospères, paisibles et démocratiques que ceux enserrés dans une des quelconques versions du socialisme. Le libéralisme constate aussi que si quelque bienveillant vous materne, il vous dictera peu ou prou votre vie ; c’est celui qui paye le repas qui choisit le menu.

Tout cela est fondé sur les quatre droits fondamentaux de la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ; liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression.

Ce qui débouche sur « tu n’es pas seul pour autant », d’abord parce que le respect non arbitraire des Droits et Libertés de chacun entraîne nécessairement celui de tous, ensuite parce que l’individu libre n’est pas solitaire. Nous ne sommes pas des Robinson Crusoë. Contrairement aux clichés, tout n’est qu’interaction dans une société libérale, pour être libre, paradoxalement, il faut être au moins deux. Vous voulez travailler, épargner, investir, louer, vendre, militer, fonder un foyer ou une association, vous exprimer, vous cultiver, ou consommer ? Vous avez nécessairement besoin de partenaires, ne serait-ce que prestataire de services, fournisseurs, employeurs, conseillers, clients, actionnaires, employés, banquiers, conjoint, associés, amis, coéquipiers, sous-traitant… La seule liberté vraiment solitaire est celle de conscience, et encore implique-t-elle souvent quelques conversations…

C’est-à-dire que nous sommes aussi des « habitants ». Insérés quelque part. Des citoyens, des salariés, des associés, des mandataires, des délégués, des coéquipiers, des pères ou des mères, en bref des « participants ». Nous sommes liés aux autres par un réseau invisible et abondant de droits, contrats et obligations. Si l’individu est prééminent, il n’est pas absolu, sans limites, nous ne pouvons effectuer nos choix qu’avec la bienveillance, voire la collaboration de nos semblables, et l’exercice de nos Droits impose celle d’institutions. Il faut une tierce partie pour garantir la loyauté d’un contrat, des juges pour trancher un différend, des policiers, un cadastre, un notaire doté de prérogatives de droit public. Pour voyager, épargner, investir, travailler, il vous faut un cadre juridique sécurisant vos transactions. Et une armée pour défendre l’ensemble contre les menaces extérieures. Mais évidemment ces institutions régaliennes doivent rester au service des individus et bordées de contre-pouvoirs scrupuleux.

Le libéralisme a aussi cette particularité, à l’inverse des doctrines concurrentes, le socialisme, l’écologie, celles issues de religions politiques, etc, qu’il n’a pas de comptes à régler avec l’inclinaison naturelle de chacun à défendre ses intérêts. Cet égoïsme qui pousse le boucher à produire votre entrecôte plus efficacement qu’un bureaucrate, selon la métaphore célèbre d’Adam Smith, n’est paradoxalement, pas du tout incompatible avec la solidarité et l’entraide, car l’homme est un animal aussi instinctivement « de communauté ». Mais sur une base essentiellement volontaire, ce qui en fait précisément une valeur morale. Dimension morale que la solidarité perd quand elle est imposée par le fisc…

 

Vous considérez-vous comme un libéral, et pourquoi ?

Absolument, je me définis comme un « libéral enragé », pour reprendre la formule de Flaubert, acharné à la défense des libertés individuelles dans le cadre exprimé ci-dessus, et ennemi irréductible du paternalisme d’État et du collectivisme, qui tirent vers le bas et oppriment généralement pour imposer le partage/spoliation, ou jouent les caïds, « fais pas ci, fais pas ça ». Pourquoi de telles convictions ? Classiquement, des influences familiales, d’un prof d’économie à l’Agro, des lectures, à commencer par un abonnement précoce à The Economist, trente ans de reportage dans des pays de l’ex bloc soviétique, ou du Proche-Orient essayant de s’extirper ou pas du collectivisme… et peut- être, anecdote personnelle, d’avoir dû chercher un appartement quand un gouvernement progressiste croyant bien faire avait durci les conditions d’expulsion des locataires et réduit ainsi dramatiquement l’offre locative… L’enfer pavé de bonnes intentions…

J’ai digéré tôt les formules de Ronald Reagan : « si ça bouge, taxez-le, si ça bouge encore règlementez-le, si ça ne bouge plus, subventionnez-le » ; ou de Thatcher : « le problème avec le socialisme c’est que vient fatalement un moment où on en vient à manquer de l’argent des autres »…

Parmi les différents courants de pensée du libéralisme, l’école classique franco-britannique et l’autrichienne me semblent les plus convaincantes, à l’inverse de la libertarienne qui me paraît être une coquetterie, forcément dans le genre « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ». Un État régalien ferme mais non arbitraire est incontournable pour assurer droits et libertés, loyauté des contrats et cohésion d’une nation face à des menaces extérieures, on ne vit pas dans un monde de bisounours. Ce qui m’amène d’ailleurs à un point de vue restrictif sur l’immigration, à rebours de certains de mes « voisins de chambrée », au nom du droit de propriété collectif d’un pays, de ses institutions et coutumes, déterminant donc qui réside ou pas. Ainsi que de la nécessité de définir un cadre, donc des frontières, à l’intérieur desquels nos droits et libertés s’inscrivent.

 

À lire aussi : 

20 citations de Margaret Thatcher sur le socialisme

 

Quels sont vos auteurs libéraux de référence ?

Évidemment, Alexis de Tocqueville, dont la lecture à Sciences Po il y a une quarantaine d’années a été un choc. Son texte « je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde… » est un chef-d’œuvre. J’ajouterai évidemment Frédéric Bastiat, pour sa capacité à parler concrètement, et son talent de pamphlétaire, ainsi que Benjamin Constant, remarquable prédicateur de l’équilibre des pouvoirs. Sans oublier, à l’origine de tout cela, l’auteur du discours sur la servitude volontaire, Étienne de la Boétie, puis Montesquieu « il n’est point de tyrannie plus terrible que celle qui s’exerce à l’ombre des lois ». Au siècle dernier, Raymond Aron, évidemment, puis Milton Friedman, très stimulant, de même que Friedrick Hayek, même si La route de la servitude n’est pas facile à lire, et parmi les contemporains, Mario Vargas Llosa, Pascal Salin, Philippe Nemo, ainsi que mon ami Alexis Karklins-Marchay.

 

Pourquoi le libéralisme est-il si mal compris en France ?

C’est un paradoxe, voire un mystère scandaleux pour un pays qui a fourni, avec le Royaume-Uni, la plupart des penseurs du libéralisme et a connu de longs épisodes, avec la monarchie de Juillet, la Troisième République, la Quatrième, voire la Cinquième jusqu’en 1981, mais c’est vrai que la liberté, pourtant le premier mot de notre devise nationale, semble être devenu un gros mot. La liberté est d’ailleurs systématiquement présentée comme « celle du renard dans le poulailler » et il serait intéressant de dénombrer l’occurrence du terme dans les listes en lice aux européennes, puis aux législatives…

Comme si finalement les Français étaient fatigués de la liberté, et que la culture de la chose avait dramatiquement reculé, en quarante ans d’étatisme de gauche, puis de droite et ainsi de suite, puis du saint-simonisme affligeant au pouvoir actuellement, sous l’effet du travail de sape d’une haute administration ayant kidnappé notre pays et, « trahison des clercs », des compagnons de route des idéologies collectivistes infiltrés depuis la Libération dans les universités de sciences humaines qui, sur fond de formation à l’esprit critique disons… perfectible forment les cadres des médias et de l’enseignement, dès le secondaire : voir combien est incontournable au lycée en cours d’économie la revue Alternatives économiques dont la ligne éditoriale me semble pouvoir être résumée par « je n’ai jamais vu une dépense publique que je n’aimais pas ».

Ce renoncement vertigineux à la liberté peut s’illustrer par ce qu’on a vu durant le confinement covid où un homme seul, le président de la République, a mis en quelques instants aux arrêts domiciliaires 67 millions de ses compatriotes, sans contre-pouvoirs et sans base scientifique établie. Et quasiment personne n’a moufté, alors qu’il s’agissait en fait pour un complexe politico-sanitaire en panique panurgienne de copier servilement une prophylaxie inventée par un régime totalitaire, la Chine, et qui n’avait jamais été utilisée, et donc encore moins validée, dans l’histoire de l’humanité.

 

Quels seraient les bienfaits de réformes libérales en France ?

Immense. Tout d’abord, simplement en termes de reconquête des libertés, obérées sur tous les plans depuis des décennies, par exemple économique, quand votre salaire vous rapporte 2000 euros, il vous en reste généralement moins de 900 après charges sociales et patronales et impôt sur le revenu, ou en matière de réglementation, des Codes de milliers de pages règlementant méticuleusement nos vies.

Ensuite, cela permettrait d’éviter la banqueroute de l’État, inéluctable à terme au vu de cinquante années de déficits publics consécutifs, série sans précédent historique, qui serait absolument dramatique et affectant surtout les plus démunis. De telles réformes permettraient aussi de concentrer les moyens de l’Etat sur ses missions régaliennes, sources historiques de sa légitimité, moyens aujourd’hui dispersés dans un maternalisme truffé d’effets pervers. C’est assez simple, les Français seront vite confrontés à un choix existentiel, être libéraux, ou très malheureux. Afuera, comme on dit en Argentine, qui a payé pour savoir ce qu’est une banqueroute…

 

Deux réformes libérales prioritaires à mettre en place ?

Un, supprimer l’emploi à vie dans le statut des fonctionnaires, sauf pour quelques métiers régaliens, comme c’est d’ailleurs le cas dans la quasi-totalité des pays du monde.
Deux, réduire drastiquement le périmètre d’intervention de l’État en liquidant moulte agences inutiles et mettre en concurrence tous les monopoles bureaucratisés, qui conduisent fatalement à une médiocre allocations de ressources et à des prestations en déclin, notamment la Sécu avec des mutuelles privées ; on peut aujourd’hui tout choisir dans la vie, y compris son sexe, mais pas l’organisme qui rembourse vos soins. Réforme assortie de l’obligation pour les mutuelles d’accepter les « mauvais risques sanitaires » pour éviter que quiconque reste sur le bord du chemin.

Je me permettrais, puisque les libéraux ne respectent pas toujours le cadre imposé, d’ajouter deux réformes :

L’instauration progressive d’une retraite par capitalisation en remplacement du système par répartition, schéma de Ponzi condamné par la démographie et immoral, puisque fondé, en fait, sur le racket opéré par une génération sur la suivante qui se console par la promesse de pouvoir faire de même avec la prochaine.

Le remplacement du système fiscal actuel incompréhensible et clientéliste par un système simple, juste et incitatif au travail et à la prise de risque, le « triple 14 » ; une flat tax à 14 % pour tous les revenus, financiers comme du travail, sans exonération ni déduction au-dessus de, mettons, 14 000 euros par an et par ménage, et un impôt négatif théorisé par Milton Friedman de 14 % en dessous, qui remplacerait la majorité des aides et leurs guichets.

 

À lire aussi : 

L’illusion de la réforme des retraites : un schéma de Ponzi en sursis

Читайте на 123ru.net