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“Les Gens d’à côté” d’André Téchiné : Isabelle Huppert nous coupe le souffle en flic voyeuse et endeuillée

Les affres d’une fonctionnaire en fin de carrière, prise entre son métier et ses amitiés. Une étude âpre portée par un trio brillant.

Une scène des Gens d’à côté exprime le bel esprit cinématographique qui hante André Téchiné. Une petite fille s’exerce au patinage artistique. Elle virevolte jusqu’à soudainement tomber. L’entièreté du film produit ce même effet : une grâce délicate suspendue au danger de la chute mais qui toujours se relève et s’obstine. La caméra du chef opérateur Georges Lechaptois filme la fillette de loin, creuse une distance, alors que le reste du temps, elle cadre situations, paysages et personnages au plus près de leur écorce. Ce recul est une avancée. Une saynète ordinaire, gorgée de puissance romanesque.

Car le roman cependant est là : Lucie est une femme flic qui reprend du service après une longue absence, suite au suicide de son compagnon, lui aussi policier. Elle dit à son supérieur qu’elle est en pleine forme alors que la gravité de son visage suggère le contraire. L’enquête sur cette femme meurtrie est consubstantiellement policière. Va-t-elle s’en sortir ? Sa renaissance prend l’allure d’un regain de vie.

Une jeune famille s’installe dans un pavillon mitoyen au sien : Julia (enseignante), Yann (artiste peintre) et Rose, leur enfant (la petite patineuse). Par réflexe professionnel, Lucie les épie. Rien que du banal. N’était qu’une escarbille trouble sa vision. Elle découvre que Yann participe au mouvement anti-flic des Black Blocs, et qu’il est de ce fait surveillé par la police. Lucie affronte une tempête de doutes : obéir aux lois de son métier et dénoncer son voisin, ou au contraire se ruer vers l’horizon d’une amitié utopique, faite de solidarité.

Tel James Stewart dans Fenêtre sur cour, Lucie, mentalement plâtrée, transforme son voyeurisme passif en engagement actif. Une espionne qui vire à l’agent double, secondée par le fantôme bienveillant de son amour suicidé. Comment désirer sa fatalité pour en faire en destin ? Ce souci philosophique est rehaussé par une autre question souveraine, car collective : celle du vivre-ensemble, y compris avec les mort·es, alors que tout concourt à nous claquemurer dans la ouate de nos certitudes narcissiques.

Ce château de cartes tendres ne tiendrait pas sans les acteur·rices qui le solidifient. Hip, hip, hip pour Isabelle Huppert (Lucie) et Hafsia Herzi (Julia), qui jouent et parlent comme elles respirent, jusqu’à nous couper le souffle. Hourra pour Nahuel Pérez Biscayart (Yann), qui rend sympathique son antipathie sociale. À plusieurs reprises, comme un refrain, on voit Lucie courir, méconnaissable dans sa tenue de jogging, pur bloc de respiration syncopée. Courir à corps perdu pour ne pas chuter. On dirait l’aurore.

Les Gens d’à côté d’André Téchiné, avec Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Nahuel Pérez Biscayart (Fr., 2024, 1 h 25). En salle le 10 juillet.

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