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Macron vers une cohabitation inédite pour éviter la démission : "Il est droit comme un J"

Macron vers une cohabitation inédite pour éviter la démission :

Entre les deux tours des élections législatives, Bruno Le Maire échange avec Emmanuel Macron. "Comment fait-on pour que tu tiennes ? Je l’ai dit au président, c’est la seule vraie question politique." Péril sur clé de voûte de la Ve République et donc péril des institutions. Déjà Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont montré une parfaite convergence. "Il n’aura plus que la démission pour sortir de la crise politique", a dit la députée du Pas-de-Calais avant même le premier tour. "La solution pour sortir de l’impasse serait qu’Emmanuel Macron démissionne. Ce serait logique, il est le responsable. Il y aurait une élection présidentielle anticipée", a lancé le dirigeant insoumis jeudi dernier.

L’avertissement n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon, triomphant, et Marine Le Pen, dépitée, ont gardé, non pas le pouvoir de faire, mais le pouvoir de défaire. Lui a bénéficié à fond du front républicain, elle en a pâti au maximum. Un front républicain qui a très bien fonctionné, beaucoup plus qu’en 2022, y compris au profit de l’étiquette Ensemble ; un front républicain malgré Macron.

Le 11 juin, le président déjeune avec Gabriel Attal, Edouard Philippe, Stéphane Séjourné et François Bayrou. Ce dernier met les pieds dans le plat : Emmanuel Macron doit apprendre le silence. Et cela va lui prendre du temps. Omniprésent dans la campagne, il finit par se taire dans la semaine qui précède le second tour. Pas de son, pas d’image. Quand le président joue l’homme invisible, son camp se redresse…

L'Elysée, Matignon et l'Assemblée, tous faibles

Emmanuel Macron a perdu sa majorité, mais aucun Premier ministre ne dispose d’une majorité. C’est l’impasse. Souvenons-nous, le 17 mars 1986, François Mitterrand intervient sans prévenir à la télévision, 24 heures à peine après les élections législatives, qui se déroulent cette année-là sur un seul tour. "Vous avez élu dimanche une majorité nouvelle de députés à l’Assemblée nationale. Cette majorité est faible numériquement, mais elle existe. C’est donc dans ses rangs que j’appellerai demain la personnalité que j’aurai choisie pour former le gouvernement, selon l’Article 8 de la Constitution." Il donne ainsi le mode d’emploi de la cohabitation, un système alors inédit dans la Ve République. Qui se répète en 1993 et en 1997, sous une forme semblable : le président appartient à un camp, la majorité absolue à un autre. L’article 8 est démonétisé : ce n’est plus le président qui choisit vraiment le Premier ministre, Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin s’imposent pour Matignon.

Cette fois, Emmanuel Macron est confronté à une cohabitation d’un nouveau genre. Le président est faible de sa dissolution ratée, le futur Premier ministre sera faible de sa majorité relative, ou alors il sera faible d’être issu d’une coalition bâtie à la hâte. Et l’Assemblée nationale sera faible de ses divisions. L’addition de trois faiblesses n’a jamais constitué une force.

Nous ne sommes plus le 22 juin 2022. Ce soir-là, dans une allocution télévisée, Emmanuel Macron tire les leçons des élections législatives qui "ont fait de la majorité présidentielle la première force politique de l’Assemblée nationale". Il demande de "ne jamais perdre la cohérence du projet que vous avez choisi" lors de la présidentielle et conclut : "Pour avancer utilement, il revient maintenant aux groupes politiques de dire, en toute transparence, jusqu’où ils sont prêts à aller. […] A la lumière des premiers choix, des premières expressions des groupes politiques de notre Assemblée nationale, nous commencerons à bâtir cette méthode et cette configuration nouvelle." Il leur donne 48 heures, qui ne serviront à rien, Elisabeth Borne gouvernera donc avec une majorité relative. On connaît la suite.

Or depuis dimanche 20 heures, Renaissance n’est plus la première force à l’Assemblée et le président n’a plus la main pour imposer ses choix. Il faut mesurer pour Emmanuel Macron le bouleversement qu’entraîne la nouvelle situation politique née de la dissolution. Passer de Jupiter à la Vénus de Milo nécessite une certaine adaptation. Au soir du premier tour, Macron disait encore : "Ce n’est pas fait, on peut encore faire un truc." Désormais il ne le peut plus, contraint de rester en retrait, en surplomb. Les déclarations fracassantes de Gabriel Attal et d’Edouard Philippe, tournant la page du macronisme, montrent que jusque dans son camp, la volonté est forte de le tenir éloigné de la scène.

Accepter de perdre la main, pour éviter de perdre la tête. Démontrer qu’il a un savoir-faire en politique, et aussi en droit, qu’il s’est bien gardé de montrer jusqu’à présent. "Macron est droit comme un J" : la formule est drôle, qui émane d’un de ses proches. On pourrait aussi l’appeler Hector, comme le personnage de La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux : "Le droit est la plus puissante des écoles d’imagination."

Car maintenant qu’il ne dispose plus d’une majorité à l’Assemblée, les pouvoirs propres du président sont limités. On a vu que l’article 8, sur la nomination du Premier ministre, est dévitalisé quand l’Assemblée nationale ne s’appuie pas sur une majorité présidentielle. Le référendum se fait "sur proposition du gouvernement". L’article 12, sur la dissolution, est inopérant pendant un an. L’article 18, qui l’autorise à communiquer avec le Parlement par des messages ou un Congrès, ne mange pas de pain. Le président peut saisir le Conseil constitutionnel sur une loi (mais les députés de son camp aussi). Même le président chef des Armées ne peut pas agir seul puisque c’est le gouvernement qui informe le Parlement de la décision d’engager des troupes à l’étranger.

Le droit est ce que les gens en font. Le 14 juillet 1986, François Mitterrand refuse de signer une ordonnance sur les privatisations. A l’époque personne ne sait s’il a le droit de le faire et à dire vrai, on ne le sait toujours pas aujourd’hui. Il n’a pas signé et il n’a pas été traduit devant la haute cour de Justice pour trahison…

Après ces élections législatives abracadabrantesques, jamais la situation n’a semblé autant bloquée, et jamais un blocage ne serait autant périlleux. Pour le pays, pour le président. Il existe un risque pour Emmanuel Macron, ainsi résumé par l’un de ses (ex-)ministres : "Tout le monde va se retourner vers le président et dire qu’il n’y a pas de solution au problème parce que le problème, c’est lui."

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