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Après le second tour, l’heure de la reconstruction a sonné, par Eric Chol

Après le second tour, l’heure de la reconstruction a sonné, par Eric Chol

Depuis des années on soupçonnait des fragilités. On devinait de fines craquelures, sans y prendre garde. Et puis ces craquelures sont devenues plus grandes, jusqu’à se transformer en fissures. Ici dans les campagnes, là dans les villes périphériques. Partout, on voyait le pays se lézarder. Jusque dans ces petits villages ou ces bourgs tranquilles, soumis à la radicalisation ambiante et aux montagnes de fausses vérités postées sur les réseaux sociaux. L’an dernier, les agriculteurs ont pris le relais, retournant les panneaux de signalisation. Cette fois-ci, les failles étaient partout, Jordan Bardella aussi, sur TikTok, tandis que le nouveau Premier ministre Gabriel Attal croyait éteindre le feu en s’asseyant sur des fétus de paille. Trop tard. Longtemps, ils avaient gardé le silence. Paris les ignorait, oubliant le conseil de Charles Péguy : "Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte." Le 9 juin, ils sont allés voter pour les élections européennes. Ce jour-là, le barrage a rompu et le président a dissous.

Prises au dépourvu, les bonnes âmes ont crié au loup, s’efforçant d’ériger des digues anti-RN, sans voir la colère envahir le pays. Triste réalité de ces deux France, que le politique, aveuglé par le pouvoir et la technocratie, n’a jamais su réconcilier. Une première brèche avait sauté avec le mouvement des gilets jaunes. Déjà, à l’époque, le gouvernement avait brandi ses chèques et ses subventions. Hélas, le "quoi qu’il en coûte", désastreux pour nos finances, n’a jamais restauré la confiance. Car l’argent ne résout pas la déconnexion. Ont suivi les manifestations d’antivaccin au moment du Covid, les protestations contre la flambée des prix…

Le goût de la pique et l’envie du dégagisme

Avec la dissolution, Emmanuel Macron a fini de détruire ce qui restait du barrage. Peut-être n’a-t-il pas vu ce film, L’Exercice de l’Etat, de Pierre Schoeller, dans lequel le président de la République lâche : "Le peuple n’a pas le pouvoir, il faut lui reconnaître sa colère". Comme aux Etats-Unis avec l’élection de Trump en 2016, comme en Grande-Bretagne avec le vote du Brexit, comme en Italie avec l’arrivée au pouvoir des extrêmes, la vague populiste française a fini elle aussi par submerger les urnes et s’imposer au Parlement. Il y a du 1789 dans cette expression. De l’incompréhension. Le goût de la pique et l’envie du dégagisme. La volonté d’en finir avec cette France de l’élite, accusée de tous les maux. Le 30 juin, la République a tremblé. Le 7 juillet, elle s'est ressaisie, en empêchant le RN d'accéder au pouvoir. Mais le barrage, lui, a cédé, laissant les eaux tumultueuses de la protestation radicale affouiller les sols du pays, éroder ses berges. Triste période, marquée par l’absence de courage des uns et les petits calculs des autres.

L’heure de la reconstruction a sonné. Il y a urgence, avant le rendez-vous présidentiel de 2027. La coalition, qui reste à bâtir, ne peut se limiter à une addition des "non" au RN. Elle doit ressembler à cette "preuve que notre pays retrouve son unité et, du coup, les chances de sa grandeur". Comme le réclamait le général de Gaulle le 4 septembre 1958, lorsque la nouvelle République enterrait la précédente. Soixante-six ans plus tard, confie l’Italien Enrico Letta, la France a plus que jamais besoin d’inédit.


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