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Toujours insaisissable, l’ex-Deerhoof Chris Cohen signe “une musique qui change et qui nous change”

Le subtil songwriter nous fait visiter son lieu à lui sur “Paint a Room”, où il dévoile ses dernières compositions intimes et acérées.

“Longtemps, je n’ai pas écrit de chansons”, nous avoue Chris Cohen, qui, après trois albums solo chez Captured Tracks, est désormais un songwriter presque installé : “J’assume, maintenant, même si je me vois toujours comme un amateur !” Ayant expérimenté des années durant au sein de Deerhoof ou The Curtains, Chris Cohen est progressivement revenu à cette forme canonique, comme par inadvertance. Pour finalement s’y trouver chez lui, au point qu’on lui suggère que la chanson pourrait être la “room” du titre de son splendide quatrième album.

“C’est vrai, une chanson est quelque chose que l’on peut habiter, que ce soit en la jouant ou en l’écoutant. D’ailleurs, la musique crée un espace, qu’il s’agisse d’un état d’esprit ou d’un lieu concret… Mais c’est la mélodie qui m’a dicté les mots du morceau-titre”, dit-il en repensant au processus de création de Paint a Room, qui marque son entrée chez Hardly Art, structure affiliée à Sub Pop.

“On a joué les morceaux live avant de les enregistrer”

Lui qui “compte faire une musique qui change et soit aussi capable de [le] changer” s’est montré ici plus spontané qu’à l’accoutumée : “On a joué les morceaux live avant de les enregistrer, j’espère qu’il en reste quelque chose même après le travail en studio.” Si en effet ces dix morceaux sont vivants et directs, on s’y aventure comme dans une investigation (“J’écris pour enquêter sur ma propre façon de penser”, note-t-il au passage) au fil de mélodies en arabesques et de textes parfois sibyllins.

Là, Chris nous arrête : “En fait, sur ce disque, j’essaye justement d’être le plus clair possible, je lutte contre ma tendance à l’ambiguïté !” Et on entend chez lui une attention au monde dès la superbe Damage, qui “parle de cette idée terriblement fausse qu’il existerait des vies qui valent plus que d’autres, qu’on pourrait se permettre de chasser des gens, de les tuer, de les enfermer, de leur imposer des frontières”.

Musicalement, il laisse chaque chanson devenir “ce qu’elle veut être”, de la country élastique de l’entêtante Sunever aux distorsions avachies, façon Pavement, de Dog’s Face. “Pour ce titre, précisément, je pensais beaucoup à toute cette époque, The Dead C, le rock à guitares, ou quand, dans les années 1990, je faisais une fixette sur les Sun City Girls”, se souvient l’auteur et producteur aux goûts très larges – il aborde son art comme un compositeur de musique classique –, qui donne aujourd’hui des “cours de songwriting” sans cesser d’être en recherche.

“Je ne fais pas de la musique expérimentale en tant que genre, mais j’expérimente toujours. Notamment avec les arrangements et le tempo. J’accélère, je ralentis : du début à la fin, je change, je joue. Avec la tonalité, aussi.” Sans pour autant se cacher derrière ces jeux (jusqu’aux envolées vocales de Laughing), même si, sur ce point, le disque diffère radicalement de son prédécesseur, l’excellent et frontal Chris Cohen (2019), orné de son simple portrait.

“La dynamique, c’est ce qui nous maintient en vie”

Il explique ce glissement : “Je voulais surtout travailler avec d’autres musiciens, déléguer, partager la composition. Moi qui avais l’habitude de tout faire jusqu’au bout, ça a été une révélation.” En regardant la belle pochette du nouvel album (“un tableau peint par une amie quand on était ados et qui se trouvait sur mon piano quand j’ai écrit ces chansons”), on songe aux couvertures des romans de Modiano signées Pierre Le-Tan : des lieux où s’estomper, à la manière de ces chansons qui souvent se retirent sur la pointe des pieds.

Le changement de label entraîne donc “un nouveau cycle après trois disques”, cycle caractérisé par la collaboration et l’émulation. Entouré notamment de Josh Johnson (cuivres), Jay Israelson (claviers) et Davin Givhan (basse), Cohen se réinvente, y compris au fil de chaque morceau où, nous guidant par une voix délicate (“le chant doit toujours correspondre à la meilleure version de moi-même, je n’ai pas de modèles”), il sait nous surprendre en douceur.

“L’enjeu de la musique, c’est de créer quelque chose qui garde une cohérence, une continuité, tout en tenant l’intérêt de l’auditeur en éveil. Comme quand on parle : j’essaie de maintenir votre attention en alerte, mais il y a des lignes directrices”, explique-t-il, avant de conclure : “On crée un motif puis on le casse, dans une certaine limite. C’est un jeu presque instinctif avec la musique, c’est physique, c’est lié à la façon dont le cœur fonctionne. La dynamique, c’est ce qui nous maintient en vie.” Même assailli·es par les doutes d’un monde incertain, on se sent bel et bien en vie dans la pièce peinte aux couleurs changeantes de Chris Cohen.

Paint a Room (Hardly Art/Modulor). Sortie le 12 juillet.

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