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Gérard Grunberg : "Mélenchon veut détruire le centre pour établir un face-à-face avec le RN"

Gérard Grunberg :

C’est une victoire présentée comme "historique" pour la gauche. Dimanche 7 juillet, le Nouveau Front populaire est sorti gagnant des élections législatives, reléguant le Rassemblement national – pourtant arrivé largement en tête au premier tour – à la troisième place. Auprès de L’Express, Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS, ne parle pas, lui, d’une "victoire de la gauche", mais du succès d’un "cartel d’une minute", soit l’alliance éphémère de deux camps contre le clan lepéniste, dont l’aboutissement sera, selon lui, "un pays ingouvernable pendant un certain temps". Le politologue analyse la responsabilité d’Emmanuel Macron dans cette situation, mais également les obstacles et les choix auxquels va être confrontée la coalition de gauche. Entretien.

L’Express : Au vu des résultats du second tour des élections législatives, la "clarification" qu’appelait Emmanuel Macron de ses vœux a-t-elle eu lieu ?

Gérard Grunberg : Tout dépend de ce que l’on appelle une clarification… Si l’idée était de confirmer ce que les élections législatives de 2022 avaient déjà montré, à savoir qu’il n’y a pas de majorité alternative à l’ancienne majorité macroniste, la preuve nous en est donnée par le résultat de ces législatives. Aucun des trois pôles politiques ne paraît capable de rassembler une majorité absolue car, dans ce système de tripolarisation, l’alliance de deux d’entre eux se fera toujours contre le troisième, quel qu’il soit. Nous nous dirigeons donc vers une situation où le pays sera sans majorité claire et donc ingouvernable pendant un certain temps. Si au contraire, le président espérait ainsi retrouver une majorité absolue, cet objectif était inatteignable compte-tenu du résultat des élections européennes.

Quelle est la responsabilité d’Emmanuel Macron dans cette situation ?

La dissolution est un acte politique d’une très grande importance et très risqué. Je ne sais pas ce qu’Emmanuel Macron en attendait exactement. S’il pensait pouvoir inverser le vote des européennes, il s’est trompé. S’il voulait précipiter l’accession du RN au pouvoir sans attendre 2027, il n’a pas atteint son but. S’il pensait que la gauche ne s’unirait pas, il a oublié son histoire. Sa responsabilité réside surtout selon moi dans le fait de n’avoir pas créé les conditions nécessaires à la réussite de son projet de dissolution, en précipitant le mouvement et en désespérant ses soutiens. Il est responsable d’avoir créé une situation qui laisse le pays sans gouvernement et sans perspectives politiques.

Son imaginaire monarchiste ne l’a pas préparé à prendre suffisamment en compte les différents éléments nécessaires à la construction d’une majorité parlementaire et notamment la question du mode de scrutin. Après les élections de 2022, qui l’ont privé d’une majorité absolue et ont produit une tripolarisation de l’espace politique, il aurait eu intérêt à proposer l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel afin de favoriser la formation de coalitions parlementaires qui échapperaient au clivage gauche/droite. Aujourd’hui, le président paraît satisfait dans la mesure où le RN a perdu ces élections. Mais n’est-ce pas que partie remise ?

Réformer le système pour aller vers un mode de scrutin proportionnel, en pleine montée en puissance du Rassemblement national, était-il vraiment faisable (et souhaitable) ?

Pour être franc, je ne sais pas si c’était faisable. La gauche comme la droite regrettent le temps de la bipolarisation et attendent que l’on revienne à cette situation. Ils ne pensent pas, ou pas encore, dans le cadre d’une tripolarisation. Ils ne semblent pas, ou pas encore, croire qu’ils ont intérêt à une telle réforme. Pour contrer le RN, les deux autres pôles ont formé une alliance ponctuelle qui, en aucune façon, ne pourra se transformer en une coalition gouvernementale. Avec la proportionnelle, les partis ne seraient pas obligés de passer des accords entre eux avant les élections pour espérer conserver leurs sièges, disposant ainsi d’une autonomie stratégique qui leur permettrait de nouer des coalitions gouvernementales après les élections. C’est ainsi que fonctionnent la plupart des systèmes politiques européens qui sont des régimes parlementaires.

On dit souvent du parlementarisme qu’il est un art du compromis. Notre classe politique en est-elle encore capable ?

A écouter dimanche soir les leaders politiques envisager l’avenir, c’est loin d’être certain. Certes, la plupart des leaders de la coalition de gauche ont rappelé que le pouvoir est désormais au Parlement et non plus à l’Elysée, ce qui est vrai dans la mesure où ce sont les groupes politiques à l’Assemblée qui formeront le prochain gouvernement et non pas le président de la République, même si c’est lui qui nommera le nouveau Premier ministre. Mais, aucun d’entre eux ou presque n’a envisagé des compromis possibles avec d’autres formations politiques. François Hollande, élu en Corrèze, estimait qu’il n’y avait rien à glaner comme allié au-delà de la gauche et réclamait, comme Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure, la formation d’un gouvernement de gauche qui appliquerait intégralement son programme, sans même évoquer sa position minoritaire dans l’Assemblée. Les leaders de LR, eux, n’entendent s’allier avec personne. Ainsi, le vote de dimanche n’a été qu’un vote contre réunissant l’espace d’un instant des formations qui n’ont aucune intention de gouverner ensemble demain.

A vous écouter, on a le sentiment que la victoire du bloc de gauche n’en est pas vraiment une…

Parce que ça n’est pas le cas ! La défaite du camp lepéniste n’a été due qu’à l’alliance éphémère des deux autres camps. Ce n’est donc pas une "victoire de la gauche", mais le succès d’un "cartel d’une minute", pour reprendre une expression qui remonte à la IIIe République. Une alliance d’ailleurs bien vite oubliée puisqu’à l’annonce des résultats, Olivier Faure a de nouveau renvoyé dos à dos "l’ultralibéralisme" d’Emmanuel Macron et le "fascisme" de Marine Le Pen ! Pour parler de victoire il aurait fallu que le NFP obtienne 289 sièges, or il en a obtenu 182 et l’on peut penser qu’un nouveau gouvernement de gauche comprenant LFI serait rapidement censuré par la nouvelle Assemblée.

Ce scrutin ne pourrait-il pas constituer une opportunité pour les gauches de se rassembler réellement dans la durée ?

Non, je ne le crois pas. Ça n’est pas un hasard si, du temps de la Nupes comme aujourd’hui, il n’y a pas eu un groupe unique de gauche à l’Assemblée. Rappelons-nous qu’à la veille des élections européennes, la gauche était profondément divisée - la tête de liste socialiste, Raphaël Glucksmann, repoussant l’idée d’une alliance avec LFI. Même si les deux partis ont signé un programme de gouvernement commun, il est permis de douter qu’ils seraient d’accord entre eux pour l’appliquer demain s’ils étaient au pouvoir. Trop de désaccords profonds les séparent en réalité.

Le Nouveau Front populaire est-il d’ores et déjà caduque, avec un PS et une France insoumise irréconciliables ?

Il va déjà buter au départ sur la question du leader de ce front, c’est-à-dire de la personne qui sera présentée comme Premier ministre d’une majorité de gauche. Surtout, ce front ne peut rester uni que dans l’opposition. En effet, si les socialistes veulent vraiment gouverner il leur faudra passer un compromis avec le centre et former un gouvernement de "concentration" comme on disait jadis.

Ce que LFI ne voudra pas. Je gage que pour l’instant, les socialistes n’y sont pas prêts. D’abord, le PS n’a, depuis sa création en 1905, jamais vraiment dérogé à sa tradition de ne s’allier pour gouverner qu’avec les groupes qui se trouvent sur sa gauche, et non pas sur sa droite. Ensuite, rester dans l’opposition est toujours plus facile car dans la mesure où l’électorat de gauche souhaite l’union, les désaccords internes pourront y être plus facilement camouflés. Les socialistes souhaitent-ils vraiment revenir au pouvoir ? La question est posée.

Mais le bloc de gauche peut-il se passer de se rassembler autour d’une frange centriste ?

Ce bloc ne peut exister que dans l’opposition. Historiquement les socialistes et les communistes n’ont jamais gouverné longtemps ensemble depuis 1920 : deux années en 1946-1947, trois années en 1981-1984 et cinq années en 1997-2002 soit dix années en un siècle. Jean-Luc Mélenchon n’acceptera pas de s’allier au centre qu’il entend détruire pour établir un face-à-face avec le RN - et le centre ne souhaite pas davantage s’allier avec lui.

Encore une fois, dans la situation actuelle où le NFP n’a pas de majorité absolue, le PS doit choisir entre l’union de la gauche dans l’opposition ou la rupture de celle-ci pour s’allier avec le centre. Après le succès électoral de dimanche dernier, avec un gain de sièges pour le PS, je ne vois pas celui-ci changer rapidement de stratégie. Il a repris des couleurs depuis 2022 et je pense qu’il restera collé à La France insoumise et donc à son leader maximo. Le moment Glucksmann pourrait bien n’avoir été qu’une parenthèse. Il suffit de lire le programme que le Front a adopté pour voir que si des divergences existent avec LFI sur la politique étrangère et européenne, l’accord sur la politique économique est réel.

Faut-il comprendre que Jean-Luc Mélenchon est voué à occuper une place de choix dans cette coalition ?

Mélenchon s’est autoproclamé dimanche soir le leader du NFP. Les partenaires de LFI pourront sans doute éviter qu’il soit le Premier ministre désigné par la gauche mais ils ne pourront empêcher qu’il en demeure la figure principale d’autant qu’il sera en mesure de barrer la route à tout autre membre de LFI. Rappelons en outre que LFI est le groupe de gauche le plus nombreux.

Reste qu’au Royaume-Uni, le succès de Keir Starmer semble en partie lié à la ligne plus centriste et pro-business qu’il a donnée au Labour, après un passé marqué par les accusations d’antisémitisme visant Jeremy Corbyn…

Certes, mais le cas du Royaume-Uni n’est pas comparable avec celui de la France. Au-delà du fait que Keir Starmer a effectivement rompu avec la doctrine Corbyn, le mode de scrutin est radicalement différent de celui de la France. Le scrutin uninominal majoritaire à un tour britannique a réussi à maintenir le bipartisme dans ce pays. Il n’existe pas de parti à la gauche du Labour. Le Royaume-Uni a connu depuis très longtemps des alternances entre conservateurs et travaillistes. En outre, comme en Allemagne où le parti social-démocrate a rompu avec le marxisme dès 1959, le Labour, à la fin du siècle dernier avec Tony Blair, a rompu avec la gauche marxiste. Le retour des trotskistes avec Corbyn n’a été qu’une parenthèse, d’ailleurs électoralement désastreuse. La Parti socialiste, lui, n’a jamais fait sa révision doctrinale.

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