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Rémi Lefebvre : "Cette nouvelle Assemblée est dominée par des élites sociales"

Ce lundi 8 juillet, les 577 nouveaux députés de l’Assemblée nationale ont officiellement débuté leur mandat. Dans l’hémicycle, nombreux sont les nouveaux visages, novices en politique, inconnus du grand public ou issus de la société civile : on compte par exemple un élu jusqu’à présent chef de cuisine dans un lycée, un étudiant en économie, un conducteur de train ou encore des responsables associatifs.

Malgré cette apparente diversité, l’Assemblée nationale reste peu représentative des électeurs français. Seules 36 % de femmes occuperont ainsi les sièges rouges de l’hémicycle - contre 39 % en 2017 -, 74 % des nouveaux députés sont classés "cadres et professions intellectuelles supérieures", comme l’a décompté Le Monde, et seuls quatre d’entre eux sont ouvriers - contre 19 % de la population française active. Enfin, la majorité des candidats élus exerçaient déjà dans la dernière Assemblée : 408 députés sortants ont ainsi été reconduits lors de ces élections législatives anticipées. Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’Université de Lille et chercheur au CERAPS, analyse pour L’Express la sociologie de cette nouvelle Assemblée nationale.

L’Express : Parmi les nouveaux députés élus à l’Assemblée nationale, on retrouve certains profils issus de la société civile, que l’on a peu l’habitude de voir siéger dans l’hémicycle. Cette sociologie des élus est-elle inédite ?

Rémi Lefebvre : Malgré quelques rares exceptions, la nouvelle Assemblée nationale n’est justement pas si représentative des électeurs. Il n’y a par exemple jamais eu aussi peu d’ouvriers à l’Assemblée. On est plutôt sur une domination des cadres supérieurs diplômés, souvent issus du public - sauf du côté de Renaissance, avec énormément de salariés du privé depuis 2017. Il y a très clairement, dans cette nouvelle Assemblée, une domination des élites sociales, caractérisée par les CSP +.

Idem pour les femmes, qui sont moins représentées qu’en 2022. Cela s’explique notamment par une intensification de la concurrence politique, associée à une sélection des candidats aux législatives très rapide, due à la dissolution surprise du 9 juin dernier. Cela a donc joué en faveur de ceux qui ont le plus de ressources sociales, c’est-à-dire les plus diplômés, en majorité les hommes, dans une logique d’élitisme. Vous avez ainsi, chez les élus, une grande majorité de députés sortants ou de collaborateurs d’élus, directement issus du monde politique. Je pense par exemple à Adrien Le Coq, élu de la 1re circonscription du Nord pour La France Insoumise (LFI), qui n’est autre que l’ancien directeur de campagne d’Adrien Quatennens, son prédécesseur. Ou encore à Alexandre Dufosset côté Rassemblement national (RN), élu de la 18e circonscription du Nord, qui est en fait l’ancien chef de cabinet de Sébastien Chenu.

Au premier tour des législatives, de nombreux candidats novices en politique ou issus de la société civile ont pourtant été investis par les partis de tous bords. Comment expliquer une si faible diversité à l’arrivée ?

Il y a une inertie très forte au sein de l’Assemblée, d’abord parce que les députés sortants sont souvent reconduits. Lorsqu’ils investissent des candidats, les partis politiques ne vont donc pas prendre le risque de désavouer leur député sortant en le remplaçant par un autre candidat issu de la société civile et inconnu des électeurs. Il y a ainsi une hiérarchisation en fonction des différentes circonscriptions : la diversité sociale des candidats sera plutôt mise en avant dans les circonscriptions où la concurrence est faible, dans lesquelles il n’y a pas beaucoup d’enjeux, ou qui ne sont tout simplement pas gagnables. L’hyper-professionnalisation de la politique ces dernières années a également beaucoup joué, avec d’énormes déconvenues pour les candidats issus de la société civile, qui se sont retrouvés en difficulté - les partis misent donc moins sur ces candidats.

En parallèle, du côté des électeurs, il ne faut pas oublier que ces élections ont été très nationalisées, avec une étiquette du parti bien plus importante à leurs yeux que les caractéristiques sociales des candidats locaux. Le fait qu’un candidat ait le même âge ou la même catégorie socioprofessionnelle qu’eux a finalement peu compté. Mais le problème reste entier : il y a aujourd’hui une dissonance de plus en plus grande entre les représentants et les représentés sur le plan social, ce qui peut peser sur certains partis. Les électeurs issus de milieux populaires ou de la ruralité par exemple ne se retrouvent absolument pas dans les candidats diplômés qui sont finalement élus, qui vivent en ville et ne comprennent pas forcément leurs problématiques.

Le fait d’investir des candidats issus de la société civile dans le but de les faire élire à l’Assemblée nationale n’est donc pas vraiment un pari gagnant ?

Non, ce n’est pas toujours très payant politiquement, avant et après l’élection, comme on l’a d’ailleurs vu avec les novices de La République en Marche (LREM) en 2017. Ils n’ont pas du tout révolutionné la politique, et n’ont pas vraiment eu leur mot à dire dans les débats. Il y a eu des députés qu’on a qualifiés de "Playmobil" ou godillots, avec une logique de discipline partisane qui leur a laissé peu de marges de manœuvre. Beaucoup de travaux, notamment ceux de mon collègue Etienne Ollion, ont montré que ces novices avaient très vite été marginalisés par d’autres élus de la majorité, qui connaissaient, eux, les rouages de la politique. Ils ont eu beaucoup de mal à compter, à peser, à s’intégrer.

Même si la diversité sociale des candidats est limitée dans cette nouvelle Assemblée, certains profils d’élus, qui ont beaucoup été mis en lumière dans les médias, peuvent-ils changer la perception des Français au sujet de la classe politique ?

Oui, parce que les Français sont justement en attente de diversification sociale. Même s’il faut rappeler qu’un électeur ne vote jamais pour un candidat uniquement pour son profil social, les partis politiques ont tout intérêt à projeter une image de diversité. Regardez ce qu’il s’est passé à gauche par exemple avec Rima Hassan sur la liste des élections européennes : elle a été un profil très intéressant à mettre en avant pour Jean-Luc Mélenchon en tant qu’avocate spécialiste des droits humains, issue de l’immigration, militante palestinienne. Dans la même logique, le Rassemblement national a également eu le réflexe d’aller chercher des personnalités issues de la société civile, notamment par manque de cadres disponibles. Mais on a pu voir que cette stratégie s’est avérée à double tranchant.

Le RN, qui tente de se distinguer comme un parti "proche du peuple" et antisystème, n’est d’ailleurs pas si représentatif des Français à l’Assemblée nationale…

En effet, le RN a énormément puisé dans son vivier d’assistants parlementaires, d’auxiliaires politiques, d’assistants, pour investir des candidats crédibles lors de ces législatives. Lors des prochaines élections, la stratégie du RN sera d’ailleurs certainement de poursuivre la professionnalisation du parti, en évitant de piocher dans des personnalités issues de la société civile, pour privilégier des personnalités à fort bagage politique.

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