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[Que relire cet été ?] “Baise-moi” de Virginie Despentes, un choc littéraire inentamé

Le premier roman de Despentes à 30 ans. Plus que jamais l’occasion de le relire et de mesurer à quel point tous les ingrédients de son style y étaient déjà présents.

Trente ans déjà. À vrai dire, le premier roman de Virginie Despentes est l’un de ceux qui m’accompagnent depuis toutes ces années. Je le relis régulièrement et, à chaque fois, je le lis différemment. La première fois, ce n’était pas exactement à sa sortie, mais quelques années plus tard, en 1998. J’y avais vu un bon pulp ; j’avais adoré le style, mais moi qui avais passé mon adolescence aux concerts de punk dans les squats et à lire de la BD, ça ne m’avait pas autant étonnée, autant ravie, que les lecteur·rices, plus âgé·es, qui la découvraient alors. C’était juste une prolongation punk, avec quelques années de retard, d’un geste qui avait explosé presque deux décennies plus tôt. Comme j’avais tort…

Je l’ai relu il y a deux ans, avant d’aller interviewer Virginie Despentes pour son dernier roman, Cher connard, et ça a été une claque. Déplacer l’énergie insurectionnelle du punk vers la littérature française – l’autrice me dira, lors de cette interview, avoir été fan de Bérurier Noir et avoir voulu appliquer au roman ce qu’elle entendait des paroles des morceaux punk-rock –, injecter au roman français le parler de sa génération, y asséner le féminisme, à une époque où celui-ci avait mauvaise presse, à travers deux personnages féminins…

C’était comme faire la révolution dans un champ compassé, dans une France patriarcale qui allait prendre un tournant conservateur, plus de vingt ans avant MeToo. La scène de viol collectif des deux filles est insoutenable, mais Despentes y montre ce qu’est un viol, la violence, la dégueulasserie et la cruauté qui l’animent : le désir de domination et d’humiliation, le désir d’anéantissement des femmes par les hommes.

Ça, déjà, c’était novateur. Mais il y a encore plus révolutionnaire : le refus, chez ces deux héroïnes, d’être réduites au statut de victimes, leur acte fort de prendre les armes et d’aller flinguer tout ce qui se met sur leur route. Ce qui m’a aussi sauté aux yeux, il y a deux ans, c’est à quel point ce texte, en avance sur la société, est dans le même temps irréductible à celle-ci ou encore au punk. Ce qui a été une claque, au fond, c’est de voir à quel point Despentes, à 25 ans, est déjà Despentes. À quel point son style novateur et authentique est déjà là, présent à chaque ligne, reconnaissable entre tous, faisant d’elle une écrivaine.

Il y a quelque chose de très émouvant, après avoir passé trente ans à lire chacun de ses textes, à constater ce dont on ne pouvait être complètement sûr·es en découvrant Baise-moi en 1994 : plus que l’émergence d’une voix aussi inattendue qu’éruptive, puissante, la naissance d’une écrivaine qui allait durer, ne pas changer mais s’affirmer encore davantage, dont le style ne prendrait jamais aucune ride et continuerait même à faire bouger l’écriture, la littérature, autant que nous-mêmes. Plus je relis Baise-moi, plus je l’aime et plus je mesure l’importance de Virginie Despentes.

Baise-moi de Virginie Despentes (Le Livre de Poche), 288 p., 8,40 . En librairie.

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