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A Chypre, la cité fantôme de Varosha attend de reprendre vie

A Chypre, la cité fantôme de Varosha attend de reprendre vie

Sous une chaleur suffocante, des centaines de badauds se pressent pour se prendre en photo devant des logements délabrés. Certains déambulent à pied ou à vélo de location, d'autres préfèrent l'ombre des voiturettes de golf.

Le 20 juillet 1974, l'armée turque envahit le nord de Chypre après un coup d'Etat de nationalistes chypriotes-grecs voulant rattacher l'île à la Grèce. Les 45.000 habitants de Varosha prennent alors la fuite.

Sur l'ensemble de l'île, quelque 170.000 Chypriotes hellénophones se réfugient dans le sud, tandis que 40.000 turcophones font le chemin inverse.

Chypre est depuis divisée entre la République de Chypre qui exerce son autorité dans le sud, et la République turque de Chypre-Nord (RTCN) autoproclamée en 1983, reconnue uniquement par Ankara.

Depuis la réouverture partielle en 2020 de Varosha, lieu de villégiature situé dans l'est de l'île, des curieux affluent quotidiennement pour une sorte de tourisme de catastrophe.

Des affiches publicitaires d'époque ornent encore les devantures. Sur une pancarte rongée par le temps, un labo photo s'enorgueillit de développer des films argentiques en couleur.

A quelques encablures de là, transats et parasols en paille s'alignent sur un bout de plage de sable blanc, délimité par des rangées de barbelés. Des baigneurs se prélassent dans les petites vagues bleu azur, au pied d'un grand hôtel ayant connu son heure de gloire.

"Provisoire"

En fin de journée, les visiteurs se dispersent peu à peu, et Varosha redevient une cité fantôme.

Nicolas Karageorgis avait 23 ans lorsqu'il a dû quitter ce district de la ville de Famagouste. "Au départ, on pensait que ce serait provisoire", se remémore cet ex-ingénieur qui lutte, comme d'autres déplacés, pour récupérer son logement.

La République de Chypre reconnaît les droits des propriétaires chypriotes-turcs d'origine: leurs biens sont loués à des déplacés du nord en attendant la résolution du conflit, et peuvent retourner chez eux sous conditions.

En revanche, la RTCN a accordé la pleine jouissance des biens "abandonnés" à des Chypriotes-turcs déplacés du sud et des colons turcs.

Varosha est un cas particulier. Mise sous scellés par l'armée turque, elle a été longtemps utilisée comme "monnaie d'échange", déplore Serdar Atai, 57 ans, un Chypriote-turc engagé pour la réconciliation.

"Nous aimerions la voir renaître, avec le retour des anciens propriétaires", souffle-t-il.

Avant l'invasion, la vieille ville de Famagouste abritait les Chypriotes-turcs, pour qui l'accès à Varosha était interdit.

- "Revenir chez moi" -

En 2020, M. Karageorgis est retourné voir la maison familiale pillée, sans pouvoir y entrer. "Elle est vide de choses, mais pleine de souvenirs", murmure-t-il, ému, lors d'une nouvelle visite sur place avec l'AFP.

Sa rue, envahie par les herbes folles, est barrée par trois cordes. Un écriteau rappelle l'interdiction d'approcher les maisons.

"J'ai soumis une demande auprès de la Commission des biens immobiliers (gérée par la RTCN). On peut demander une indemnisation ou la restitution. J'ai choisi la restitution", raconte-t-il.

Cette commission a été créée en 2005 pour traiter les réclamations liées aux propriétés dans le nord.

Mais à l'exception de Varosha, les demandes de restitution se heurtent aux lois de la RTCN stipulant qu'une propriété ne peut être retirée à son occupant.

Reste l'indemnisation. Problème, les multiples procédures traînent: "Le bluff (côté turc) est de prétendre que si vous vous présentez vous serez indemnisé", explique l'avocat Achilleas Demetriades.

Des propriétaires lésés "ont fait leur demande (...), des jugements ont été rendus (...) mais la Turquie refuse de verser les indemnisations", assure-t-il.

M. Karageorgis garde néanmoins espoir: "Si la maison était restituée, je la retaperais et j'y habiterais".

Les deux communautés vivent séparées par une zone démilitarisée.

Tandis que les négociations pour la réunification piétinent, la résolution du problème des propriétés apparaît comme un préalable à une réconciliation.

"Il est certain que la question des biens est importante", concède le maire chypriote-grec en exil de Famagouste, Simos Ioannou. "Mais nous n'y avons pas seulement laissé nos biens, nous y avons laissé notre âme."

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