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Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Damien Theillier

Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Damien Theillier est professeur de philosophie, président de l’Institut Coppet et contributeur régulier pour Contrepoints

Comment définissez-vous le libéralisme ? 

J’appelle libéralisme la philosophie politique pour laquelle la liberté de chaque être humain est la valeur morale et politique suprême. Ceci a pour conséquence nécessaire que l’État doit tendre vers zéro. Je dis bien « tendre vers », car il y a toujours une forme de centralisation qui subsiste. En effet, je ne crois pas qu’il y ait de solutions définitives et parfaites aux maux de l’humanité.

Mais la liberté n’est pas une valeur comme les autres, c’est la matrice, le socle de toutes les valeurs. Pas de vérité sans liberté, pas de vertu morale sans liberté. La liberté ne garantit pas que vous prendrez toujours la meilleure décision, elle garantit simplement que personne d’autre ne prendra cette décision pour vous.

Le libéralisme classique ne consiste pas à dire que la vérité est relative à chacun (une thèse épistémologique discutable), mais à dire que l’État doit s’abstenir de manipuler les faits ou de faire de la propagande sous couvert d’éducation. Le libéralisme est donc une philosophie politique négative, un effort pour limiter l’État autant que possible. Le libéralisme, c’est l’État qui tend vers zéro, même si ce point n’est jamais atteint en pratique.

Enfin, libéral ne signifie pas libertaire, contrairement à ce que disent parfois des gens comme Michel Onfray, Jean-Claude Michéa ou Éric Zemmour. Être libertaire, c’est penser que toute contrainte sociale ou morale est illégitime, et que l’on ne doit rien à personne. Mais la liberté bien comprise implique la responsabilité individuelle et la coopération pacifique. Chacun doit payer le coût de ses choix, sans le faire porter aux autres. La liberté n’est pas compatible avec la spoliation.

 

Vous considérez-vous comme un libéral et pourquoi ?

Le métier de philosophe m’a conduit naturellement à l’amour de la liberté. Pas de vérité sans liberté, ni inversement de liberté sans vérité. Le concept de vérité objective est profondément libérateur à l’égard de tout système de domination, car il limite les prétentions du pouvoir. Aucun pouvoir ne peut changer ce qui est vrai, ni par des lois ni par la manipulation du langage (cf. 1984 de G. Orwell).

De même la liberté est une dimension essentielle de la nature humaine, donc de la vérité sur l’Homme. Mais le libéralisme, c’est aussi la défense des libertés économiques. Il y a également une sorte d’osmose entre liberté économique et liberté politique. L’une ne va pas sans l’autre et vice-versa (cf. Capitalisme et liberté de Milton Friedman).

De même je crois que la philosophie ne doit pas s’enfermer sur elle-même, sous peine de se transformer en bavardage idéologique. « La puissance de l’idéologie trouve son terreau dans l’incuriosité humaine pour les faits » écrivait Jean-François Revel. La philosophie doit impérativement s’ouvrir à l’apport des sciences et des faits concrets.

D’où l’importance de l’économie. L’économie est essentielle pour comprendre les institutions et les juger d’un point de vue moral et politique. Car il faut juger une politique à son résultat, à ses effets, et non à ses intentions, disait Frédéric Bastiat (Cf. Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas). En effet, des politiques menées au nom du bien commun ont pour effet d’enrichir certains au détriment des autres. Le discernement moral doit s’appuyer sur une connaissance des causes et des effets, ce que permet l’économie.

Bien sûr, je suis très méfiant à l’égard de l’économie keynésienne qui est devenue une discipline bureaucratique biaisée, au service des puissants. Je défends l’économie politique du « Laissez-faire », héritière des Lumières franco-écossaises et qui continue à se développer aujourd’hui dans l’école autrichienne avec Mises, Hayek, Rothbard, Hoppe et leurs disciples partout dans le monde.

 

Quels sont vos auteurs libéraux de référence ?

J’ai déjà en partie répondu juste au-dessus, mais je voudrais ajouter un point. Historiquement et jusqu’au milieu du XIXe siècle, tous les économistes classiques furent à la fois des libéraux et des philosophes : Quesnay, Turgot, Hume, Smith, Condillac, Say, Bastiat, Molinari, Guyot. C’est cette tradition de pensée qui est ma référence première depuis des années. C’est pourquoi j’ai créé il y a bientôt 15 ans l’Institut Coppet, qui continue aujourd’hui, sous la houlette de Benoît Malbranque, et avec le soutien de Mathieu Laine, de publier les textes majeurs de cette tradition libérale classique du « Laissez-faire ».

Pour ces économistes et pour l’école autrichienne qui en est l’héritière, la vraie régulation de la société n’est pas la démocratie, qui a son utilité par ailleurs en tant que mode de désignation des représentants, mais c’est d’abord et avant tout le marché libre. Sans marché libre, il n’y a pas de boussole. Car le marché est le meilleur révélateur des préférences personnelles. Sur un marché libre, les acteurs exercent pleinement leur droit de décider eux-mêmes de leurs propres affaires.

 

Pourquoi le libéralisme est-il si mal compris en France ?

Que veut un électeur de nos jours ? Il veut des promesses d’argent gratuit, de la protection partout, des avantages acquis. La démocratie est ainsi devenue une machine à produire des lois et des régulations pour satisfaire les innombrables groupes de pression. Ce clientélisme forcené ne peut que marginaliser le libéralisme dans le paysage politique. Un candidat libéral à une élection ne veut pas augmenter les lois mais les diminuer pour rendre au peuple sa liberté d’initiative et sa responsabilité. Mais un tel programme n’a aucune chance de succès aux élections. C’est pourquoi tous les candidats aux élections sont étatistes.

En effet, il y a une tendance en France que j’appelle la « légalomanie » : un problème, une loi. On légifère sur tout, on politise tout. Cette tendance est renforcée par la centralisation, qui est aussi une vieille tradition française. Tout se décide à Paris (ou à Bruxelles), au sein d’une petite élite de dirigeants professionnels, assistés d’intellectuels et de journalistes subventionnés. Or le libéralisme, c’est exactement l’inverse : subsidiarité, décentralisation, concurrence, prise de risque.

Une société libre n’a pas besoin de beaucoup de lois, mais simplement de quelques règles de droit qui garantissent et protègent la propriété et la responsabilité. C’est ce que défend la tradition libérale, de Boisguilbert à Bastiat, en passant par Benjamin Constant qui écrivait : « Les fonctions du gouvernement sont purement négatives. Il doit réprimer les désordres, écarter les obstacles, empêcher en un mot que le mal n’ait lieu. On peut ensuite se fier aux individus pour trouver le bien ». (Benjamin Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, 1822.)

 

Quels seraient les bienfaits de réformes libérales en France ?

D’un point de vue libéral, la question n’est pas de savoir ce que l’État peut faire pour nous aider, mais plutôt comment l’intervention de l’État fait obstacle aux opportunités des citoyens pour s’en sortir. Les seules réformes qui sont légitimes sont donc des suppressions de réglementations existantes, de barrières bureaucratiques, de restrictions fiscales et monétaires, qui sont autant de rentes cachées pour certaines catégories de citoyens.

Il faut partir de la prémisse selon laquelle le rôle de la loi est négatif, comme le dit Benjamin Constant dans la citation plus haut. Cette prémisse est également au cœur du pamphlet La loi, de Frédéric Bastiat.

En remettant la loi à sa place, on rend à chacun ce qui lui est dû. Car le seul rôle légitime de la loi, c’est celui de combattre les atteintes au droit de propriété et aux contrats. Ce faisant, elle permet que chacun puisse exercer sa responsabilité personnelle.

Le bienfait fondamental que vise toute réforme libérale, c’est donc la justice. Je ne parle pas de la justice sociale, qui est une forme perverse de spoliation. La justice dont je parle est la justice morale, celle qui rend à chacun ce qui lui est dû : le fruit de son travail, le respect de son intégrité, de ses choix, de sa vie.

 

Deux réformes libérales prioritaires à mettre en place ?

Comme dit précédemment, les Français souffrent de la confiscation de leurs libertés par une élite dirigeante qui gouverne par l’abus des lois et l’endettement à outrance. Les contribuables, ceux qui produisent la richesse, sont spoliés par l’inflation législative autant que l’inflation monétaire, conséquence de l’endettement de l’État. Il faudrait donc supprimer massivement les régulations, rentes et monopoles.

Une première mesure libérale massive serait de supprimer la plupart des ministères actuels, à commencer par ceux de l’Éducation nationale, de la Santé et du Travail. À la place, on pourrait instaurer un système de chèques éducation ainsi qu’un système d’assurance santé privé et de retraite individuelle pour les travailleurs. Et avec le reste des taxes on pourrait améliorer la justice et la sécurité. Privatiser au maximum et réduire l’État à des fonctions de veilleur de nuit ou de juge de paix serait déjà un immense service rendu à la liberté et à la justice.

Une seconde mesure, plus radicale encore, toucherait la matrice fondamentale de nos sociétés : la monnaie. Il s’agit d’abolir la BCE, qui détient de facto le monopole de la création monétaire. Or, notre système monétaire et financier, qui date de la fin de l’étalon-or, est corrompu par ce monopole et par la fausse monnaie qui en découle, une monnaie créée à partir de rien, la monnaie fiat. Les États peuvent ainsi s’endetter sans limite pour financer la protection sociale et conserver leur pouvoir de contrôle sur les populations. En effet, la banque centrale rachète la dette et fait marcher la planche à billets, dévaluant ainsi la monnaie. Cette politique de monétisation de la dette engendre de nombreuses incitations perverses : gaspillages, spéculation effrénée, déresponsabilisation des acteurs, hédonisme, individualisme, consumérisme, productivisme à outrance. Ce processus de décivilisation et d’esclavage par la dette doit cesser.

Or, c’est tout le génie visionnaire d’un Satoshi Nakamoto d’avoir créé Bitcoin après la crise de 2008, un outil monétaire décentralisé et déflationniste, capable de résister à la censure, de protéger la vie privée, de restaurer le pouvoir d’achat et de stocker la valeur pour le futur. Bitcoin n’est pas une réforme politique, c’est une révolution technologique, mais c’est la route de la liberté.

Damien Theillier sur X :
https://twitter.com/dtheillier

Sites web :

https://fredericbastiat.fr/

École de la liberté
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Formation Bitcoin en français :
https://decouvrebitcoin.fr/
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