Pourquoi les classes populaires sont toujours aussi peu présentes à l'Assemblée nationale
Avec 408 sortants réélus, le profil de l’Assemblée nationale issue des législatives des 30 juin et 7 juillet ne peut changer qu’à la marge. Mais ces différences, même et parce que portées par seulement 30 % des députés, soit 169 nouveaux dont des revenants, n’en sont que plus significatives. « Les Républicains et Ensemble, détaille Sébastien Michon, sociologue au CNRS à Strasbourg, compte la plus forte proportion de députés sortants dans leurs rangs : plus de 84 % pour l’un et l’autre groupes. De par leur progression, cette proportion est moins élevée au sein du Nouveau Front populaire et surtout du Rassemblement national, à 63,2 % pour le premier et 57,3 pour le second. »
Autre enseignement : le taux de féminisation s’érode un peu plus. « Après une forte hausse en 2017, relève le sociologue, le nombre de femmes députées est passé de 39 % à 38 % avant dissolution, puis 36 % en ce début juillet. Le RN est pour beaucoup dans cette baisse. Seuls 32 % de ses élus sont des femmes contre 38,7 % pour Ensemble et 41,2 % au NFP. » D’une chambre à l’autre, la proportion de femmes est sensiblement la même, le Sénat en recensant 36,8 %.La dissolution et l’imminence des législatives ont manifestement davantage pris de court le RN que les autres formations. En témoigne le profil… disons atypique de quelques-uns de ses candidats.
Quatre ouvriers…« L’ex-Front national reste un petit parti, explique Sébastien Michon. Il n’a pas encore un vivier très important de candidats et ce, d’autant moins qu’avant les législatives, il y a eu les européennes. A ses 88 sortants, se sont ajoutés des cadres du parti, des jeunes collaborateurs, des militants engagés de longue date et, pour compléter jusqu’à arriver à présenter 577 candidats, notamment dans les circonscriptions les plus difficiles, des profils divers et variés comme une personne sous curatelle, un auteur de prise d’otages, des nostalgiques de l’Algérie française et d’autres rattrapés par leurs déclarations racistes… »
« Qu’ils aient dans leurs rangs le benjamin de l’Assemblée, Flavien Termet, 22 ans, et son doyen, José Gonzalez, 81 ans, dit autant que leur défaut de parité quelque chose de leurs difficultés à recruter, appuie le chercheur. La moyenne d’âge de ses députés est légèrement inférieure à celle de l’Hémicycle : 47,3 ans contre 49 ans. A 47,4 ans, celle des élus du NFP s’en approche. Les moyennes d’âge de ceux d’Ensemble et de LR s’élèvent respectivement à 51,3 et 52 ans. Les réélections expliquent en partie ce vieillissement dans les rangs de ces deux formations. »
L’âge n’est pas la seule caractéristique commune entre le RN et le NFP. « En 2022, rappelle Sébastien Michon, les classes populaires et les catégories intermédiaires ont fait une percée à la chambre basse nationale. LFI, avec notamment Rachel Kéké, battue dimanche, et le RN avec Jorys Bové, lui réélu, se partageaient les huit ouvriers et 26 employés qui, pour la plupart, découvraient le palais Bourbon. Dans la nouvelle Assemblée, il n’y a plus que quatre ouvriers, trois sous l’étiquette RN et un sous celle du NFP. »
La gauche un peu à partPour comparaison, à lire les chiffres 2021 de l’Insee, les ouvriers représentent 19,1 % de la population française active, à peine moins que les cadres (21,6 %). « Les catégories socioprofessionnelles supérieures monopolisent ou presque la représentation nationale, note le sociologue, avec pas moins de 347 députés classés “cadres et professions intellectuelles supérieures”. »
Schématiquement, et classiquement sauf pour le RN qui poursuit sa mue, les traits suivants caractérisent les groupes politiques de cette XVIIe législature de la Ve République. « Le groupe NFP est le plus féminisé, l’un des plus jeunes et celui qui possède le plus de capital culturel. En moyenne, on l’a vu, un peu plus âgés, les députés Ensemble se recrutent d’abord dans les métiers de l’encadrement du secteur privé et au sein des professions libérales. Ce profil s’apparente à celui du groupe LR qui s’appuie un peu plus sur d’anciens auxiliaires politiques comme les assistants parlementaires. Ce groupe ne compte, en revanche, que 27 % de femmes dans ses rangs. Le groupe RN, plus jeune malgré quelques élus âgés, et à peine plus féminisé, recrute également chez les cadres du privé ainsi que les professions libérales, des médecins et des avocats dans les circonscriptions du sud notamment. Il y a aussi pas mal d’auxiliaires politiques. »
Jérôme Pilleyre
Lire. (sous la direction) de Lorenzo Barrault-Stella et Sébastien Michon, Intermédiations politiques. Les reconfigurations des modes d'exercice de la domination politique, Peter Lang Editions, collection La Fabrique du politique, 2024, 42,20 €.